Une passion Françoise

Marianne Payot Journaliste

Dix ans après sa mort, la dame de L’Express revient à la Une. Entre autres hommages : le recueil de ses éditoriaux, l’enquête-témoignage d’Alix de Saint-André mais, surtout, sa première autobiographie datant de 1960. Un joyau que l’on croyait disparu.

Histoire d’une femme libre, par Françoise Giroud. Gallimard, 254 p.

ET AUSSI : la nouvelle édition augmentée de Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris.

Gallimard, 462 p.

Il faudrait remercier beaucoup de monde, notamment Alix de Saint-André pour avoir déniché le manuscrit à l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), Caroline Eliacheff, l’ayant-droit, pour avoir autorisé sa publication et, bien sûr, Françoise Giroud, elle-même, prompte à la table rase, pour ne pas avoir brûlé cette autobiographie écrite  » à l’été de sa vie  » (elle allait avoir 44 ans), en 1960. Oui, remercier, car cette Histoire d’une femme libre est un véritable joyau, d’intelligence et de lucidité. Rarement Françoise Giroud, guère encline aux confidences, aura été si loin dans l’introspection, si fidèle à ce qu’elle fut, une rebelle aspirant à la liberté, au risque du bonheur.

Mais reprenons l’exégèse de cet inédit. Alors qu’elle vient de rater son suicide (un jeudi,  » un bon jour pour mourir  » par rapport au bouclage du journal), après avoir été quittée par Jean-Jacques Servan-Schreiber et sur le point d’être évincée de L’Express, Françoise trouve refuge, avec sa fille Caroline et sa machine à écrire, chez les Lazareff (couple phare de la presse française), dans le Var. Son médecin lui a conseillé d’écrire une longue missive à Jean-Jacques pour coucher sur le papier tout ce qu’elle n’arrivait pas à lui dire. En guise de lettre, c’est un récit de vie qui naîtra au terme de trois mois de solitude et qu’elle ne publiera jamais – pour de multiples raisons, dont son caractère par trop intime. Légèrement remanié par la journaliste et écrivain Alix de Saint-André, il rend terriblement humaine et attachante une femme qui dut, toute sa vie, se conformer à l’image de roc qu’elle s’était forgée.

Deux scènes ouvrent et clôturent ce combat avec les mots : à 12 ans, France Gourdji (son patronyme d’origine) est blâmée injustement par la directrice de son pensionnat pour avoir fait le mur – elle courbe l’échine afin de ne pas être renvoyée. A 43 ans, en mai 1960, Françoise Giroud est accusée par JJSS de  » desseins  » qu’elle n’avait pas eus (les  » fameuses  » lettres anonymes [voir l’interview]) –  » la vieille cicatrice s’est ouverte… Le sourire humble, le bégaiement, la prostration…  » Le baluchon sur l’épaule, la voilà encore une fois hors du monde, déclassée, culpabilisée. Entre ces deux événements, Françoise n’a cessé de  » plaider sa cause « , en entrant, par exemple, dans la Résistance, ou en travaillant comme une acharnée. A 14 ans, elle obtient son premier emploi de dactylo dans une librairie. C’est que son père,  » la grâce physique mêlée d’audace et de fantaisie « , est mort jeune, et que sa mère, lumineuse, plus douée pour l’esthétique et l’hospitalité que pour les rentrées d’argent, est empêtrée dans les dettes.

Si l’on survole sa période cinéma (scripte pour Marc Allégret, etc.) et ses premières amours, on la retrouve en janvier 1946 subjuguée par Hélène Lazareff. Après les années de Elle (sept en tout), saut-de-mouton jusqu’à ce dîner chez l’éditeur René Julliard, un soir de 1951, en présence de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de sa femme, Madeleine Chapsal. Coup de foudre pour le journaliste de Paris-Presse au physique de play-boy américain et naissance du projet fou d’un nouvel hebdomadaire  » au service d’une morale politique « . Le 16 mai 1953 paraît le premier numéro de L’Express. Sept années de connivence et d’attelage parfait suivront, en compagnie de cette  » merveilleuse mécanique de précision  » qu’est Jean-Jacques. Françoise, homme le jour, femme la nuit (avec un avortement à la clé) vit là ses meilleures années. Jusqu’à la psychanalyse d’un Jean-Jacques  » irascible et délabré  » au retour d’Algérie et la mort de sa mère, qui plonge la directrice de L’Express dans une grande solitude, puis dans la dépression.

Bien sûr, les zones d’ombre demeurent : la maladie de son père, ses origines juives, les lettres anonymes – autant de points élucidés de son côté par Alix de Saint-André. Restent les merveilleux portraits – de Jean-Jacques, de Mauriac, de Pierre Mendès France, d’elle-même… – portés par une plume d’une élégance rare.

MARIANNE PAYOT

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