Une neutralité influente

Ministre des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey a réussi, grâce à son engagement en faveur de l' » initiative de Genève « , à mettre la diplomatie helvétique sur le devant de la scène internationale

Désignée en décembre 2002 à la tête de la diplomatie de la Confédération suisse, Micheline Calmy-Rey s’était promis de  » rendre la politique étrangère de la Suisse visible « . Cette jeune grand-mère de 58 ans, socialiste et féministe, a largement réussi son pari. Chargée, de 1997 à 2002, du département des Finances du Conseil d’Etat genevois, rien ne la destinait à occuper ce poste. Mais, en Suisse, les petits nouveaux au Conseil fédéral (gouvernement) se voient attribuer les portefeuilles les moins prestigieux. Comme les Affaires étrangères… Micheline Calmy-Rey a pris ce qu’on lui donnait. Et mis son efficacité et sa pugnacité au service de la diplomatie suisse. Andreas Gross, membre comme elle du Parti socialiste et conseiller national du canton de Zurich, la décrit comme une  » passionnée « .  » Jusqu’ici, dit-il, la politique étrangère de la Suisse était gérée par des messieurs très politiquement corrects, mais terriblement grisâtres. Elle a mis de la couleur et clairement fait savoir ce qu’elle voulait. Ce qui a rendu notre diplomatie enfin visible.  »

Dès janvier 2003, Micheline Calmy-Rey annonce qu’elle ne se rendra au Forum de Davos que si le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, accepte de lui accorder un entretien. Et elle met à profit cette rencontre pour expliquer à son interlocuteur qu’une intervention américaine en Irak sans le feu vert des Nations unies serait perçue par la Suisse comme un  » conflit interétatique « . Le mois suivant, elle organise, au grand dam des Etats-Unis, une conférence internationale sur les conséquences humanitaires de la guerre en Irak, une initiative qui lui vaut une volée de bois vert dans la presse conservatrice, mais qui est largement approuvée par l’opinion.

C’est surtout son rôle et son engagement en faveur de l' » initiative de Genève « , un projet d’accord de paix au Proche-Orient négocié par des personnalités israéliennes et palestiniennes sous la houlette des anciens ministres Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, qui vont lui permettre de placer la diplomatie suisse sur le devant de la scène. Ce qui vaudra à cette francophone le titre de  » femme politique de l’année « , décerné par la télévision suisse allemande.

A l’origine de cette aventure, il y a un professeur de sciences politiques de l’université de Genève, Alexis Keller. Fort d’un carnet d’adresses bien rempli, il ambitionne de mettre sur les rails un dialogue entre des représentants des sociétés civiles israélienne et palestinienne. Micheline Calmy-Rey décide sans hésiter d’apporter à l’entreprise le soutien logistique et financier de son ministère. Un budget de 3 millions de francs suisses (2 millions d’euros) est débloqué ; il va permettre d’organiser une série de rencontres discrètes. Le 12 octobre 2003, en Jordanie, sur les rives de la mer Morte, les deux délégations paraphent l’accord, qui fera ensuite l’objet d’une communication solennelle à Genève, en présence de très nombreuses personnalités et de quelque 400 Palestiniens et Israéliens.  » Nous voulons, affirme la ministre, développer une nouvelle forme de diplomatie, moderniser les traditionnelles missions de bons offices. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement d’offrir un joli cadre.  » Une vocation que la Suisse, dit-elle, partage avec un petit nombre d’autres pays, comme la Norvège et le Canada,  » qui n’ont pas de visées stratégiques  » mais qui disposent, compte tenu de leur situation économique,  » des moyens de s’investir dans la collectivité internationale et misent, pour assurer leur sécurité, sur le renforcement du droit international public « .  » Notre politique étrangère, ajoute- t-elle, est moins une politique de puissance qu’une politique d’influence.  »

De toute évidence, le retentissement de l’initiative de Genève sur le Proche-Orient lui facilite la tâche. Outre les traditionnels crédits d’engagement pour l’aide au développement, elle vient d’obtenir du Parlement suisse, pour la première fois, le vote de crédits-cadres, au titre des programmes de  » promotion civile de la paix « , alors que, jusqu’ici, les budgets étaient votés chaque année. Ce sont au total 220 millions de francs suisses (141 millions d’euros) qui seront consacrés à cette action pendant les quatre années à venir, soit une moyenne annuelle en hausse de 10 %. Une politique qui n’a rien de philanthropique à ses yeux.  » Favoriser la résolution des conflits, défendre les droits de l’homme, lutter contre la pauvreté, c’est, insiste-t-elle, aider à la stabilisation, politique et économique, de pays dont les ressortissants, qui n’auront plus alors besoin d’émigrer, deviendront des consommateurs susceptibles d’offrir des débouchés à nos exportations.  »

Si elle reste sur le  » créneau  » traditionnel de la Confédération suisse en matière d’action internationale û action humanitaire, droits de l’homme, bons offices û et n’hésite pas à évoquer une tradition  » instaurée par la Croix-Rouge dont Genève est le berceau « , Micheline Calmy-Rey,  » bûcheuse impressionnante  » selon son adversaire en politique, lui-même ancien ministre du canton de Genève, Guy- Olivier Segond, montre un dynamisme et une conviction qui font d’elle, d’ores et déjà, l’une des principales figures du gouvernement fédéral avec… le populiste conservateur Christoph Blocher. Mais cette fonceuse, que l’on dit têtue, aujourd’hui seule femme ministre en Suisse, n’a certainement pas l’intention de s’arrêter là. Elle aime peser sur les choses et il ne déplairait sans doute pas à cette femme de pouvoir de se voir confier, un jour, le portefeuille, là-bas infiniment plus prestigieux, des Finances.  » Elle est d’une ténacité hors du commun, commente encore Guy-Olivier Segond. Elle sait aussi évaluer les rapports de forces et transiger lorsqu’il le faut. Mais, au fond d’elle-même, elle n’abdique jamais. Elle défend ses idées avec acharnement, écartant de son chemin obstacles et adversaires.  » Au tout début de sa carrière, la façon dont elle avait évincé un cacique du parti, Christian Grobet, au Conseil d’Etat du canton de Genève lui avait valu le surnom de  » Cruella « . Il lui colle encore à la peau, même si elle s’est depuis efforcée de décoller cette étiquette de  » tueuse « … l

Dominique Lagarde, avec Jean-Noël Cuénod

ôAujourd’hui, il ne s’agit plus seulement d’offrir un joli cadre »

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