Une loi pour les agents infiltrés

Alors qu’elles sont très intrusives, les  » méthodes particulières de recherche  » (écoutes, etc.) sont mises à disposition de  » fonctionnaires  » étrangers. Des balises sont posées, mais le risque de dérapage n’est pas nul.

Une inquiétude est née dans les milieux d’enquête lorsque, à la mi-novembre, des limiers russes sont arrivés à Liège, en commission rogatoire internationale. En cause : l’assassinat, le 7 octobre 2006 à Moscou, de la journaliste d’investigation Anna Politkovskaïa. De nouveaux suspects (dont un tueur professionnel ?) auraient été identifiés dans ce dossier délicat (il pourrait mettre en cause le pouvoir tchétchène actuel, fidèle au Kremlin). Or une communauté tchétchène non négligeable s’est formée en province de Liège, à la suite des événements ayant cruellement marqué la vie de cette république de la Fédération de Russie. Communauté naturellement peu favorable au régime actuel. Et pas davantage à Moscou. En revanche, la mémoire de la journaliste abattue lui est chère, car elle avait dénoncé des exactions subies chez eux par les Tchétchènes. Ceux de Belgique peuvent-ils donc abriter ses assassins ?

En tout cas, quelques proches de l’enquête ont craint que les demandes d’investigation russes, comprenant des écoutes téléphoniques, aient eu la surveillance de ladite communauté pour objectif réel, même si les devoirs ont été réalisés par des policiers de notre pays. De rares mais nets échos en ce sens sont parvenus au Vif/L’Express. Pour autant, nous n’affirmerons pas que la chose est exacte. Parce que, en la matière, les vérités définitives sont rares. Et parce qu’aucune instance officielle ne confirme le soupçon.

Amendement rejeté

Mais la curiosité que suscite cette éventualité tient aussi à la chronologie. Car, le 25 novembre, la Chambre adoptait un projet de loi gouvernemental portant sur la collaboration de la justice belge avec les agents étrangers infiltrés, dans le cadre d’enquêtes policières recourant à des méthodes particulières de recherche [MPR] (écoute téléphonique, pénétration de systèmes informatiques, infiltration, etc. ; ces MPR sont limitées au terrorisme et à la criminalité grave). Il prévoit que, si une investigation classique ne suffit pas, la police belge peut collaborer avec des fonctionnaires étrangers formés à cet effet. Si le groupe Ecolo a voulu tout limiter aux nations ferventes des droits de l’homme, son amendement n’a pas été retenu. Des policiers, des douaniers, voire des  » agents  » d’Etats même peu démocratiques pourront-ils dès lors avoir accès à des données relatives aux citoyens ou simples résidents de Belgique ? Certes, le nécessaire accord préalable du parquet fédéral empêchera sans doute toute barbouzerie. Malgré tout, la question reste posée : a-t-on ouvert une boîte de Pandore ?

On sait ce que le Parlement en pense (vote à l’unanimité, moins les verts). De son côté, la Ligue des droits de l’homme dit sa perplexité. Son président, Benoît Van der Meerschen, regrette d’abord que  » ces matières sensibles, concernant des méthodes très intrusives, sont toujours traitées dans une dynamique qui passe par les cabinets ministériels avant de vrais débats démocratiques « . Et, s’il partage l’idée qu’il faut un encadrement législatif, il souhaite qu' » il ne soit pas trop large. On pourrait par exemple craindre qu’un Etat enquête par ce biais sur un réfugié politique venu chercher la protection de la Belgique. Il faut des balises nettes, alors que le projet évoque par exemple des « fonctionnaires » étrangers « formés » à cet effet. Quels fonctionnaires ? Quelle formation ? Quant au contrôle du parquet fédéral, celui-ci a déjà dérapé dans d’autres dossiers. Il y a donc du flou, alors que ce sont les fonctions régaliennes de l’Etat que l’on sous-traite « .

ROLAND PLANCHAR

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