Une femme mariée

Marianne Payot Journaliste

Canton de Vaud, 21 juillet 1967. Anne Wiazemsky, 20 ans, petite-fille de François Mauriac, épouse en toute intimité le pape de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard,  » maoïste  » à ses heures, de dix-sept ans son aîné. Dès leur retour en France, la rumeur aidant, le couple ne va cesser d’être harcelé par tous les paparazzis d’une presse avide de capter ces mariés  » contre nature « . Zoom avant : janvier 2012. Anne Wiazemsky, désormais romancière confirmée, a gardé dans la prunelle des yeux son air effarouché. Car, elle le sait bien, la sortie de son nouveau livre, Une année studieuse, splendide roman sur sa rencontre avec Godard, devrait lui attirer un autre public que celui qui se penche habituellement sur son £uvre. Alors, telle l’épousée d’hier, elle se tient prête àà esquiver et à s’éclipser.

L’immersion dans ses années de jeunesse

 » C’est vrai, je me préserve, avoue la rousse romancière. Cette pression m’a été tellement insupportable que je ne m’expose plus depuis lors.  » L’on devra donc s’en tenir à cette année si particulière, qui de l’été 1966 à l’été 1967, a donné un sacré coup d’accélérateur à sa vie et lui a permis de côtoyer Truffaut, Rivette, Bertolucci, Cournot, Jeanne Moreau, Cohn-Bendità des mois fous qu’Anne Wiazemsky a peiné à recréer.  » Comme toujours, l’idée du livre s’est imposée à moi, explique-t-elle, mais j’ai fait plusieurs fausses routes. Et puis j’ai compris, grâce notamment à Ce qu’aimer veut dire, de Mathieu Lindon, sur son histoire avec Michel Foucault, et à Just Kids, de Patti Smith : ce n’était pas la femme d’aujourd’hui qui devait donner son point de vue, il me fallait m’immerger dans mes années de jeunesse.  » Mémoire et journal intime à l’appui.

D’où la fraîcheur du ton, la candeur – voire la naïveté – des protagonistes, la gaieté du récit et le portrait, tout en éloges, ou presque, du réalisateur d’ A bout de souffle. C’est bien cette face inexplorée d’un Godard tout à la fois amoureux, romantique, Pygmalion, doux amant, drôle, enfantin, généreux, délicat, jaloux, un rien possessif, qui intrigue et charme le lecteur.  » Sans lunettes, il montrait quelque chose de caché, quelque chose de très intime « , confie la narratrice, qui effleure à peine les bémols à venir, la tendance à dramatiser, le ton sec et la voix haute sur les tournagesà

Mais reprenons le fil. En 1965, Anne Wiazemsky tourne dans le film de Bresson Au hasard Balthazar, après autorisation de François Mauriac, son tuteur depuis la mort de son père. Une expérience doublement décisive : la rebelle du collège Sainte-Marie comprend que la vraie vie est ailleurs, que sa place n’est pas là, dans cette bourgeoisie du XVIe arrondissement parisien ; Jean-Luc Godard, qui tombe sur une photo de tournage dans Le Figaro du 12 août 1965, s’amourache de la jeune fille. A trois reprises, il tente de la séduire, sans succès, jusqu’à ce que l’apprentie comédienne voie, bouleversée, Pierrot le Fou et lui écrive son admiration. Transporté de joie, Godard débarque en juillet 1966 dans le Gard, où Anne récolte les pêches avant de revenir à Paris réviser son oral de philo. La romance peut commencer.

Devant  » Bon Papa « , Godard intimidé et rasé de près

Avec quelques écueils, dont au premier chef l’hostilité de sa mère, la princesse Wiazemsky, à qui Jean-Luc inspire  » un dégoût radical et définitif « , et la méfiance du patriarche de 80 ans, alimentée par l’oncle Jean et quelques lettres gentiment anonymes. Mais bientôt, le grand écrivain catholique –  » Bon Papa  » dans le livre – donne son absolution :  » Devenir le grand-père de Jean-Luc Godard, quelle consécration !  » Commentaire de sa petite-fille, quarante-cinq ans après les faits :  » Je lui rends hommage, à juste titre, il était exceptionnel. Notre complicité tenait aussi à mon opiniâtreté à son égard. J’étais la seule, dans la famille, à requérir constamment son avis, à lui poser des questions sur sa jeunesse, son métierà  » Une connivence qui nous vaut aujourd’hui cette scène d’anthologie, la demande en mariage auprès de Bon Papa d’un Godard intimidé, rasé de près, bien coiffé, costume gris et cravate noire.

L' » animal-fleur  » de Godard devient La Chinoise

Avant le passage à la mairie, c’est dans les hôtels – plus ou moins luxueux – que se déroulent les amours de la star du 7e art, sans domicile depuis sa séparation d’avec Anna Karina. L’année est fructueuse : tandis que Jean-Luc ne réalise pas moins de cinq films ( Made in USA, Deux ou trois choses que je sais d’elleà), Anne réussit son oral du bac – grâce aux cours particuliers d’Henri Jeanson ! – suit sans conviction des études de philo à Nanterre, où elle rencontre l’anarchiste facétieux  » Dany le Roux  » et, surtout, tourne La Chinoise avec Jean-Luc, Jean-Pierre Léaud, Juliet Berto et ses camarades  » robinsons du marxisme-léninisme « , dont le Sénégalais Omar Diop, déniché par l’ami Antoine Gallimard.

Un tournage épique, que Godard nourrit de sa relation avec son  » animal-fleur « , comme Anne aujourd’hui se nourrit de Jean-Luc. La réponse de la bergère au berger en quelque sorte. Godard appréciera-t-il ce portrait, somme toute flatteur ? Dans le doute, elle ne lui a pas envoyé le manuscrit.

Une année studieuse,

par Anne Wiazemsky. Gallimard, 262 p.

MARIANNE PAYOT

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