Une Europe en fer-blanc

C’est très bien. Ce pourrait être très bien si cette OPA indienne sur l’acier européen venait, enfin, nous réveiller, nous ouvrir les yeux sur les réalités d’un siècle où l’Inde marche du même pas que la Chine, où ce pays qui était encore, il y a si peu, un sous-continent de la faim contrôle le premier groupe sidérurgique mondial et a plus investi, l’année dernière, en Grande-Bretagne ou en Australie que l’inverse.

Le Brésil s’élance. La Russie renaît des cendres soviétiques en concentrant son gaz et son pétrole sous l’autorité du Kremlin. Les Etats-Unis, comme toujours, plus que jamais, défendent bec et ongles leurs industries et leur agriculture, au service desquelles travaillent leurs lois et leur diplomatie. L’Inde et la Chine devraient terminer 2006 avec 9 bons points de croissance supplémentaire. Et l’Europe ?

Exquise Europe ! Aussi carte postale qu’un salon de thé salzbourgeois à l’heure de l’Année Mozart, elle s’empaillait sur les taux de TVA de sa restauration au moment même où le groupe Mittal mettait plus de18 milliards d’euros sur la table pour s’offrir Arcelor.

Pas possible !… Vraiment ?

Un groupe indien ? Basé à Londres et coté à Amsterdam ? Un groupe familial indien contrôlant son capital, comme les Krupp et les Wendel d’antan ? Eh bien oui, belle Europe, les temps changent.

Les gueux s’installent dans vos salons et, cette fois-ci, ce ne sont plus les Chinois qui s’adjugent Marionnaud ou Thomson, parfums et téléviseurs, mais l’autre géant asiatique, celui que vous n’aviez pas encore vu venir, qui guigne votre acier, l’industrie par excellence, non pas un vestige essoufflé du xixe siècle, mais une entreprise florissante, restructurée sur fonds publics et constituée par la fusion des aciéries françaises, belges, espagnoles et luxembourgeoise.

Le tocsin sonne. Qu’elle finisse par échouer ou réussir, cette OPA est un symbole, une date dans l’érosion de la prééminence occidentale.

A égalité avec les Etats-Unis, les Vingt-Cinq demeurent, et de loin, la première puissance économique du monde, mais, si l’Union ne s’arme pas, ce n’est plus pour longtemps.

Cela n’a plus rien d’intangible si l’Europe n’harmonise pas ses réglementations et ne coordonne pas ses politiques économiques, si elle ne se dote pas d’une politique industrielle, si elle continue de s’obnubiler sur le respect de la libre concurrence entre ses industries au lieu de les défendre contre la concurrence extérieure, si ses gouvernements et ses électeurs persistent à refuser l’idée même d’une unification politique fondée sur le suffrage universel paneuropéen – si l’envie d’être ne la saisit pas.

Avec les non français et néerlandais, le désarroi s’ajoute à nos lenteurs. Nous n’inventerons pas de nouvelles institutions du jour au lendemain, mais, au moins, bougeons sur quelques objectifs – la recherche, l’enseignement, les concentrations industrielles et l’organisation politique de la zone euro.

Si l’Inde s’éveille, pourquoi pas nous ? l

Bernard Guetta

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