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« Une autre démocratie est inventée »

De nouvelles pratiques démocratiques se mettent en place à l’initiative des jeunes et des femmes, observe Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Les germes de la future démocratie africaine.

De nouvelles pratiques démocratiques n’émergent-elles pas, notamment dans le chef des jeunes, pour contrer le désenchantement démocratique?

Une autre démocratie a été inventée, qui tourne autour de trois idées: plus d’écoute des préoccupations de la population, plus de participation des jeunes et des femmes, ceux qui ne croient plus à la démocratie, et plus de redevabilité, la volonté de devoir rendre des comptes. Résultat: un déplacement de la démocratie des bureaux de vote vers les quartiers des grandes villes ou vers des territoires circonscrits où l’Etat est défaillant. Ces organisations deviennent crédibles parce qu’elles rendent des services dans les domaines de la santé de base, du ramassage des ordures, de l’aide alimentaire, du soutien aux personnes âgées ou aux handicapés. Les réseaux sociaux accélèrent ce processus mené en dehors des partis politiques et des syndicats. C’est là que s’expriment les ressorts de la future démocratie africaine.

Quand il se rebelle contre l’Etat, le peuple est en mesure de modifier le cours des choses.

Cette cohabitation entre une société civile très active et un pouvoir de plus en plus autocratique peut-elle durer sans l’irruption, à terme, d’une révolte sociale?

Il y a les situations où l’explosion sociale a déjà eu lieu: en Algérie en 2019, le président Abdelaziz Bouteflika, qui briguait un cinquième mandat, a été poussé vers la sortie ; scénario identique au Soudan, la même année, à l’encontre du président Omar el-Bechir. Quand il se rebelle contre l’Etat, le peuple est en mesure de modifier le cours des choses. Mais avec quelle suite? Les résultats, il est vrai, sont rarement satisfaisants. Il existe d’autres situations où se développe un phénomène différent: la société civile n’attend plus rien de l’Etat si ce n’est peut-être un minimum de sécurité, une classe politique qui ne soit pas corrompue et une armée qui ne commette pas d’exactions. Cette délégitimation de l’Etat peut se traduire par des pratiques comme l’incivisme fiscal. Pourquoi payer l’impôt si l’Etat ne remplit pas ses missions?

La Chine et la Russie, de plus en plus présentes en Afrique, peuvent-elles avoir un impact négatif sur la démocratie?

Les Chinois n’ont pas d’états d’âme. L’équité démocratique des gouvernements n’est pas leur problème. Leur souci, c’est de faire des affaires et, maintenant, de recouvrer leurs créances. Les Russes sont d’un cynisme absolu. On le voit dans un pays qui est peut-être le plus fragile de tous les Etats africains, la Centrafrique. Des groupes de sécurité privés s’accaparent le pouvoir, fournissent des conseillers au président et organisent probablement une certaine prédation des ressources locales. Les Russes, ce n’est même pas le commerce, c’est la prédation. Les Européens ne peuvent pas agir ainsi parce que c’est contraire à leurs principes fondamentaux et parce que s’ils le faisaient, il y aurait dix ONG qui alerteraient l’opinion sur l’écart entre le discours des politiques et la réalité.

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