Un vote sur l’IVG ?

Dans un pays où l’avortement reste illégal, une pétition réclame un référendum. C’est la nouvelle bataille, peut-être décisive, d’une guerre de vingt ans

Deux Cupidon barbichus et assez baraqués û justaucorps blancs, ailes en papier û gambadent dans la rue Augusta, à Lisbonne, et lancent des fléchettes sur des jeunes filles ravies. Les vitrines des magasins sont décorées de c£urs et les librairies û à l’exception des religieuses, qui sont ici légion û ont ressorti le Kama-sutra, les manuels de massages et les traités de sexualité. Le climat au Portugal est à la Saint-Valentin, il y a de l’amour dans l’air. Mais celui-ci peut être infortuné, surtout dans un pays où se chantent ses tristes désillusions. Et la société se déchire sur une question irrésolue, qui rassemble les passions contradictoires de l’aventure et de la tradition : celle de l’avortement.

Le 11 février, la députée communiste Odete Santos û grande figure du féminisme lusitanien, pour qui  » la lutte des femmes est une lutte des classes  » û défend devant une commission du Parlement la recevabilité d’une pétition réclamant un référendum sur l’interruption volontaire de grossesse. Celle-ci est toujours illégale, sauf pendant des délais limités, dans les cas de malformation du f£tus, de danger pour la mère, ou de  » crime contre l’autodétermination sexuelle « , tel le viol. Cette pétition est la nouvelle bataille d’une longue guerre. Une bataille décisive, peut-être, déclenchée par un procès dans la ville d’Aveiro qui démontre une fois de plus que la loi, adoptée en 1984, et le sens de la justice sont en disharmonie.

Le 17 février, le verdict d’Aveiro a créé la surprise : acquittement général, faute de preuves. Parmi les 17 inculpés, certains étaient passibles de la peine maximale : huit ans de prison. Un médecin, sept femmes et, pour la première fois, leurs  » complices  » û époux, fiancés ou parents û étaient poursuivis. Parmi les manifestants venus les soutenir aux portes du tribunal, des militantes, dont Odete Santos, toujours elle.  » La loi de 1984, dit-elle, porte atteinte à la liberté individuelle consacrée par notre Constitution.  » Ce procès devrait permettre de redéfinir le statut de l’IVG et de combler  » ce fossé entre l’Europe et le Portugal  » qu’est l’avortement, pour reprendre la formule de Manuela Tavares, du Bloc de gauche, un parti qui a participé activement à l’actuelle campagne d’une pétition en faveur d’un nouveau référendum. Celle-ci a rassemblé 121 151 signatures, alors que 75 000 étaient nécessaires. Un sondage de l’Université catholique de Lisbonne indique que trois Portugais sur quatre jugent  » opportun  » un nouveau débat national. Les opinions évoluent. Dans ce pays très catholique, l’évêque de Porto s’est prononcé contre la  » pénalisation  » des femmes. Les partis de la coalition gouvernementale (sociaux-démocrates du PSD, centristes du CDS et  » populaires  » nationalistes du PP) ont annoncé qu’ils débattraient, le 26 février, de cette question qui les divise au point qu’ils avaient promis de n’en parler jamais lors de cette législature, soit jusqu’en 2006. Tout cela est bel et bon, cependant les Portugais ne veulent pas d’un nouveau compromis parlementaire,  » mais un référendum « , rappelle Helena Pinto, du Bloc de gauche. Selon le sondage de l’Université catholique, la préférence pour cette option est massive (73 %).

Cette impatience û et cette défiance û à l’égard de la classe politique remonte au grand cafouillage de 1998. Cette année-là, les socialistes étaient au pouvoir et une loi assez libérale fut adoptée. A la surprise générale, le secrétaire général du PS, le très catholique Antonio Gutierrez, prétendait que le sujet méritait mieux : un référendum fut aussitôt organisé. La gauche, considérant l’affaire entendue, ne parvint pas à mobiliser ses électeurs. La droite, elle, cria à l’holocauste. Gutierrez annonça enfin qu’il voterait non,  » à titre personnel « . Résultat : le non l’a emporté d’un rien (50,9 % des voix), avec une participation de 32 % des électeurs. Après ce désastre vint, en janvier 2002, le retentissant procès de Maia, au nord de Porto. 43 personnes jugées. Récits sordides et dramatiques de la misère ordinaire. La sage-femme, condamnée à huit ans de prison, vient d’être graciée par le président de la République, Jorge Sampaio.

Chaque année, entre 20 000 et 40 000 avortements clandestins sont pratiqués au Portugal, subis par celles qui n’ont pas les moyens de se rendre en Espagne. 11 000 femmes vont tous les ans aux urgences après des complications liées à une IVG clandestine.  » L’avortement est un caillou dans la chaussure du pays « , écrivait récemment le magazine Visão. Non, rétorque une lectrice, Ana Lourenço, médecin portugais vivant en Suisse, c’est  » une torture médiévale, une atteinte à la santé des femmes. A quand une loi pour les protéger ?  »

Michel Faure

ôLa loi de 1984 porte atteinte à la liberté individuelle consacrée par notre Constitution »

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