» Un vaccin contre Zika ? Peu probable « 

Faut-il avoir peur de ce virus dont la diffusion bat des records de rapidité ? Le Pr Eric Caumes, spécialiste des maladies tropicales, fait le point sur l’ampleur réelle de la menace.

Les statuettes africaines qui décorent son bureau racontent l’histoire d’un grand voyageur, d’une vie passée à traquer les pathologies exotiques pour mieux les comprendre – et mieux les soigner. Eric Caumes est le chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière-APHP, à Paris. Membre du Haut Conseil français de la santé publique, il y préside le Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI). A ce titre, il oriente le ministère de la Santé sur la façon de lutter contre l’épidémie de virus Zika. Pour Le Vif/L’Express, il nuance les craintes que fait naître cette crise sanitaire.

Le Vif/L’Express : Le virus Zika a été identifié pour la première fois en Ouganda en 1947. Pourtant, le grand public ne le découvre que maintenant. Comment l’expliquez-vous ?

Eric Caumes: Il y a deux ans seulement, la Polynésie française a connu une épidémie de Zika qui a touché plusieurs dizaines de milliers de personnes, mais cet épisode est passé quasiment inaperçu. Le virus y est aujourd’hui éradiqué. Mais, depuis, il n’a cessé de voyager, sans faire de bruit, jusqu’à son arrivée en Amérique du Sud. Pourquoi ? Parce que, dans 80 % des cas, les malades ne présentent aucun symptôme. Dans les 20 % restants, ils souffrent surtout de douleurs musculaires, de conjonctivite et d’une éruption cutanée. Or les pays où s’épanouit le Zika sont également ceux où sévissent la dengue, le chikungunya et parfois le paludisme. Comme leurs symptômes sont beaucoup plus spectaculaires, ces maladies captent bien davantage l’attention.

Les complications potentielles du virus Zika n’en restent pas moins effrayantes…

Si jusque-là Zika n’a pas beaucoup fait parler de lui, c’est aussi parce que ces fameuses complications n’ont été mises en évidence que récemment. La première concerne les femmes enceintes. Les Brésiliens, confrontés à près de 4 000 cas de bébés microcéphales, ont tiré la sonnette d’alarme. Alertés, les Polynésiens ont alors ressorti leurs archives. Celles-ci ont confirmé un pic de malformations neuf mois après l’épidémie. Impossible de croire à une coïncidence. On estime aujourd’hui à 8,8 pour 1 000 grossesses la probabilité d’avoir un enfant malformé et à 5,2 pour 1 000 grossesses la probabilité d’une microcéphalie. L’autre complication, le syndrome de Guillain-Barré (une atteinte des racines nerveuses pouvant entraîner la paralysie pendant plusieurs semaines), est également préoccupante, mais cette pathologie peut aussi survenir à la suite d’autres maladies infectieuses comme la grippe.

De quelle façon Zika est-il arrivé au Brésil ?

Le scénario le plus vraisemblable est celui d’un voyageur infecté, qui a débarqué dans le pays pendant la dernière Coupe du monde de football, en 2014. L’épidémie était alors à son apogée, notamment dans certaines îles du Pacifique (Polynésie française, îles Cook, Nouvelle-Calédonie). Ce supporteur a été piqué par un moustique, qui a ensuite piqué quelqu’un d’autre, et c’est ainsi que tout a démarré. Si Zika devait se répandre chez nous, ce serait probablement de la même façon.

La menace de voir l’épidémie se répandre en Europe est-elle élevée ?

Dans les dix derniers jours, nous avons accueilli quatre malades porteurs du virus à la Pitié-Salpêtrière à Paris. On dénombre en tout une vingtaine de cas d’importation en France (NDLR: en Belgique, on évoque deux cas potentiels). Ce sont des voyageurs qui sont rentrés de l’étranger porteurs des symptômes et sont allés consulter, parce qu’ils avaient été sensibilisés au sujet. Mais j’aurais tendance à me montrer rassurant malgré ces quelques cas. Le vecteur principal de cette maladie est le même que celui de la dengue, du chikungunya et de la fièvre jaune. Il s’agit d’un petit moustique de couleur sombre, long de 5 millimètres environ, qui vit seulement dans les zones tropicales et se nomme Aedes aegypti. Or, sous nos latitudes, nous ne connaissons que son cousin, le moustique tigre ou Aedes albopictus, qui peut transmettre le virus, mais probablement moins activement, et ne s’est encore jamais montré capable de déclencher une épidémie.

Sauf qu’il semble que Zika se transmette aussi par voie sexuelle…

Le moustique est de loin le premier responsable, mais oui, ce mode de contamination est avéré depuis 2011. Et cela, même lorsqu’on ne présente pas de symptôme. Si le virus ne reste pas dans le sang très longtemps, il peut demeurer dans le sperme. Combien de temps ? On ne sait pas exactement, au minimum quinze jours après la guérison. C’est pourquoi le dernier avis du Haut Conseil français recommande aux personnes qui se trouvent dans les zones touchées de repousser tout projet de grossesse et même de s’abstenir de rapports sexuels non protégés.

Peut-on espérer voir un vaccin arriver rapidement ?

Un vaccin ? Contre une maladie qui ne vous tue pas et vous immunise jusqu’à la fin de vos jours ? Cela me semble peu probable… Attention aux effets d’annonce. Prenez celui contre la dengue, par exemple. Les premières recherches ont commencé il y a quinze ans, les essais thérapeutiques, il y a cinq ou six ans, et le vaccin devrait sortir seulement cette année. Il y a bien sûr le contre-exemple d’Ebola, pour lequel on est passé très vite de la phase de développement à la phase d’application. Sa mortalité était telle que de nombreuses étapes ont été court-circuitées, qui n’auraient jamais dû l’être en temps normal. Je crois davantage dans les progrès de la démoustication. Mais elle doit être opérée de façon coordonnée, à grande échelle, et effectuée avec des techniques non polluantes pour présenter un intérêt.

La médiatisation du Zika est-elle proportionnelle à la menace qu’il représente pour l’humanité ?

Zika est loin d’être le problème de santé publique le plus crucial dans le monde. Parlons uniquement des pathologies infectieuses : la tuberculose tue des centaines de milliers de gens chaque année et se montre de plus en plus résistante aux antibiotiques. C’est vraiment une maladie de la misère. L’infection par le VIH demeure toujours une question majeure. N’oublions pas que les pays en développement n’ont pas facilement accès aux médicaments qui, chez nous, ont rendu aux patients une espérance de vie normale. Et je ne parle pas des autres MST. La syphilis est ainsi en pleine recrudescence en France, mais le grand public l’ignore. On a le sentiment d’une prime à la nouveauté de la part des médias.

Chikungunya, Ebola, Zika… Les crises sanitaires semblent tout de même se succéder à une vitesse vertigineuse.

Ce n’est pas un effet d’optique. Les niches écologiques où les virus restaient autrefois confinés se trouvent de plus en plus souvent bousculées. Le cas d’Ebola est très parlant. Avant 2013, on l’avait vu apparaître de façon sporadique dans des zones forestières reculées et difficilement accessibles. La déforestation, l’urbanisation, la surpopulation et l’amélioration des infrastructures routières lui ont permis de sortir de son réservoir traditionnel. Là où nous observions des épidémies de quelques mois, très localisées, nous avons vu survenir de véritables raz-de-marée durant plus de deux ans. Plus il est facile de voyager et plus les virus circulent. Comme Ebola n’est pas véhiculé par des insectes, l’épidémie a pu être endiguée. Les messages d’hygiène et de protection ont fini par passer et par être appliqués. Mais cela resurgira.

Existe-t-il une sorte de fascination morbide du public pour les virus ?

C’est incontestable. Vous avez remarqué ? Leurs noms se terminent souvent en  » a  » : ils sont exotiques, proches et lointains à la fois, et toujours inquiétants… Ce qui a changé la donne, c’est bien sûr le VIH. Avant, personne ne parlait beaucoup des virus. On les connaissait très mal et ils n’intéressaient pas tellement les grands laboratoires. Depuis, la recherche a fait des pas de géant. Les traitements antiviraux sont apparus, on sait soigner l’infection par le VIH, les hépatites B et C… L’onde de choc déclenchée par le sida dans l’opinion a amené celle-ci à guetter tout ce qui pouvait y ressembler de près ou de loin.

Existe-t-il malgré tout des  » bons  » virus, comme il existe de bonnes bactéries ?

La science commence tout juste son exploration du microbiote, c’est-à-dire de la colonisation digestive par les bactéries  » utiles « . Il est hautement probable que l’on découvre aussi, au fur et à mesure de ce décryptage, l’existence de virus capables de jouer un rôle positif pour notre organisme. Et puis on sait déjà utiliser certains virus pour détruire des bactéries résistantes. On les appelle les bactériophages et, si leur emploi est aujourd’hui encore délicat, la recherche avance à grands pas. Nous sommes encore loin d’avoir percé tous les mystères des virus.

Entretien : Matthieu Scherrer.

 » Les niches écologiques où les virus restaient autrefois confinés se trouvent de plus en plus souvent bousculées  »

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