Un travail de l’autre côté de la frontière linguistique

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

De plus en plus de demandeurs d’emploi francophones décrochent un poste en Flandre. C’est que les résistances à ces audaces transrégionales diminuent, tant chez les employeurs que chez les futurs salariés

« Un grand pas pour moi, un petit pas pour l’activité économique  » : voilà ce que doivent penser les demandeurs d’emploi francophones qui passent la frontière linguistique pour obtenir un poste en Flandre. Si symbolique soit-il, ce passage de frontière a longtemps bloqué les recrutements interrégionaux.  » Certains employeurs flamands redoutent l’image syndicale des francophones, explique un expert du marché de l’emploi, même si elle est injustifiée. En sens inverse, les francophones, persuadés que les Flamands ne les aiment pas, préfèrent rester à distance et craignent de dépendre d’une Région qui n’est pas la leur.  » Chez Actiris, l’office régional bruxellois de l’emploi, on affirme toutefois avoir été agréablement surpris lorsque la campagne de sensibilisation aux opportunités d’emploi en Flandre a été lancée, voici deux ans : les difficultés exprimées par les demandeurs d’emploi étaient moins insurmontables que prévu.

Lentement mais sûrement, donc, la mobilité interrégionale se développe. L’accord visant à la promouvoir et à l’encourager, signé en 2007 entre les trois organismes régionaux chargés de l’emploi (Actiris à Bruxelles, le Forem en Région wallonne et le VDAB en Flandre) semble enfin porter ses fruits. Il prévoit notamment l’échange automatique des offres d’emplois entre les trois organismes – un peu plus de 102 000 annonces ont ainsi été échangées en 2008 -, l’organisation de journées de rencontres entre demandeurs d’emploi et employeurs à la recherche de main-d’£uvre et, en Région wallonne, la mise en place d’équipes mixtes composées de 40 conseillers du Forem et du VDAB. Les efforts en matière de recrutements interrégionaux sont accentués le long de la frontière linguistique, c’est-à-dire en périphérie bruxelloise, du côté de Mouscron-Tournai et de Liège-Eupen.

Quelque 3 500 demandeurs d’emploi francophones (Bruxellois ou Wallons) auraient ainsi décroché un emploi en Flandre entre mai 2008 et mars 2009, selon les calculs du VDAB relayés par le quotidien De Standaard. Seuls les demandeurs d’emploi encadrés par les trois organismes de placement sont toutefois inclus dans ce chiffre. Et encore…  » Ceux qui suivent nos cours de néerlandais puis décrochent un emploi en Flandre ne nous le signalent pas toujours « , nuance Stéphanie Wiard, porte-parole du Forem. Autrement dit, ni chez Actiris ni au Forem, on ne se dit en mesure de confirmer les chiffres du VDAB.

Tout au plus, avance-t-on chez Actiris, 1 950 demandeurs d’emploi bruxellois ont effectivement décroché un emploi en Flandre, dans la périphérie de la capitale, entre octobre 2007 et juin 2009. Les intérimaires ne sont pas compris dans ce résultat, ni le personnel engagé par Carrefour, Colruyt, Sodexho, Promoplan et Médecins sans frontières, le lieu de travail final du personnel engagé par ces groupes n’étant pas identifié avec certitude.

 » Dans tous les cas, la tendance est positive depuis plusieurs années, assure Mark Trullemans, attaché à la coordination du Pacte territorial pour l’emploi chez Actiris : les Bruxellois francophones qui partent travailler en Flandre, sans pour autant déménager, sont de plus en plus nombreux. La moitié des postes qu’ils décrochent sont dévolus à du personnel peu qualifié, principalement dans les secteurs de l’horeca, du nettoyage, de l’assistance administrative, de la vente, quand il ne s’agit pas d’un travail de chauffeur ou de magasinier. « 

Et en Région wallonne ? Le Forem a recensé l’engagement de 797 demandeurs d’emploi wallons en Flandre entre mai 2008 et juin 2009. A la fin de 2008, 43 732 Bruxellois et 68 700 Wallons travaillaient en Flandre, selon l’enquête fédérale sur les forces de travail.

Les professionnels qu’on s’arrache

Confrontée, comme les autres Régions, à de graves pénuries de personnel, la Flandre se tourne vers Bruxelles et la Wallonie dans l’espoir d’y recruter, entre autres, des aides ménagères, des opérateurs de call-center, des agents de contrôle et de conditionnement, des maçons, des chauffeurs de poids lourds, des soudeurs, des couvreurs, des bouchers… Prêts à franchir le pas, les francophones qui partent travailler en Flandre ne sont pas pour autant de parfaits bilingues. Selon les cas, les employeurs n’exigent d’ailleurs pas d’eux une connaissance sans faille d’une deuxième langue. Une maîtrise de base peut parfois suffire, l’apprentissage se faisant ensuite sur le terrain. Selon l’enquête réalisée par l’équipe mixte VDAB-Forem de Picardie, la moitié environ des offres d’emplois venues de Flandre réclamaient de bonnes à très bonnes connaissances en néerlandais, tandis que 18 % n’en exigeaient aucune connaissance. Certains employeurs flamands sont aussi prêts, pour trouver la main-d’£uvre désirée, à financer les cours de langue nécessaires.

Les progrès enregistrés en matière de mobilité professionnelle interrégionale, même lents, devraient en tout cas apporter de l’eau au moulin de ceux qui s’opposent à une régionalisation accrue de la politique de l’emploi…

Laurence van Ruymbeke

Des difficultés moins insurmontables que prévu

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