Un simple magistrat

Il a vécu de près l’affaire Brichet. L’actuel procureur général de Liège est apprécié, mais ne fait pas l’unanimité. Son parcours impressionnant révèle les tensions qui ont toujours existé dans la magistrature.

Le 28 juin 2004, Monique Olivier avoue les crimes odieux perpétrés par Michel Fourniret, dont celui de la petite Elisabeth Brichet.  » Ce jour-là, j’étais dans ma voiture entre Bruxelles et Namur, quand j’ai appris la nouvelle, se souvient Cédric Visart de Bocarmé. Cela faisait quatorze ans que je vivais avec le dossier Brichet. J’ai eu une réaction de soulagement car nous savions enfin… Et d’horreur, car nous gardions, malgré tout, un infime espoir de la retrouver vivante. « 

Quelques jours plus tard, dans le domaine du Sautou, en France, Fourniret indique aux enquêteurs l’endroit où il a enterré le corps. Un coup de pelle à trois mètres de profondeur découvre un morceau d’anorak violet. La carte d’identité d’Elisabeth se trouve dans une poche du vêtement. Pour le reste, que des os. Le squelette sera reconstitué dans un cercueil, à la demande des parents. Cédric Visart, alors procureur du roi de Namur, est sur place. Flics et magistrats ont beau se blinder face aux horreurs qu’ils doivent affronter, il y a des affaires qui marquent la vie d’un homme.  » Les dossiers de mort d’enfants sont toujours très douloureux « , soupire Visart, qui a aussi connu, en tant que procureur général à Liège, cette fois, la terrible affaire Stacy et Nathalie.

Derrière ses airs froids et rigides, ce magistrat ambitieux se révèle profondément humain. Beaucoup le regrettent au parquet de Namur où son bilan suscite les éloges.  » Il est conventionnel, habité par sa fonction et, en même temps, accessible, disponible et capable de se remettre en question, se souvient une magistrate namuroise. Ici, tout le monde l’appelait Cédric, alors qu’à son successeur, Bernard Claude, l’ancien juge dinantais qui a instruit l’affaire Fourniret, on donne du Monsieur le procureur.  » Cette simplicité, sans doute héritée de ses parents aviculteurs dans la région de Wavre, se double d’une extrême courtoisie, que reconnaissent même ses détracteurs. Il faut dire qu’avec un tel nom, Cédric Visart de Bocarmé a forcément du sang bleu dans les veines. Au xviie siècle, ses ancêtres habitaient le château de Bury, aujourd’hui disparu, près de Leuze. Leur devise  » Je protège le faible  » était prédestinée pour leur lointain descendant épris de justice.

On le dit aussi humaniste.  » Il a des idées à droite, il est conservateur, mais pas répressif pour le plaisir « , affirme un autre magistrat de la capitale wallonne. Classé social-chrétien, Visart a travaillé dans deux cabinets de la Justice, celui de Melchior Wathelet (ex-PSC), dans les années 1980, et celui de Stefaan De Clerck (ex-CVP), de 1995 à 1998, où il était chef de cabinet.  » J’assume mon parcours et mon étiquette, sourit tranquillement cet amateur de musique classique. Il y a vingt-cinq ans, quand on voulait entrer dans la magistrature, on avait encore besoin d’appui politique. Mes deux séjours à la Justice m’ont permis de découvrir l’autre côté du décor, celui du pouvoir d’action. « 

 » Cédric « , habité par sa fonction, manque d’humour

Transiter par le ministère n’est pas anormal pour un magistrat du parquet. Cela dit, son passage chez De Clerck fut controversé. D’abord à cause de son attitude dans l’affaire Dutroux vis-à-vis des magistrats impliqués (lire ci- dessous). Ensuite, parce qu’à ce moment-là, il était procureur du roi depuis quelques années. Détacher un chef de corps n’est pas anodin, surtout que personne ne le remplace pendant son absence. Trois magistrats influents de Namur, Christine Matray, alors présidente du tribunal de commerce, Christian Panier, alors président du tribunal de première instance, et Charles-Edouard Henrion, président du tribunal du travail, avaient écrit une lettre ouverte pour dénoncer la chose.  » C’est le cabinet De Clerck qui est venu me chercher, justifie Visart qui a une indéniable fibre politique. Il avait besoin d’un pénaliste francophone pour mener à bien la réforme Franchimont. Je ne pouvais pas refuser. « 

La justice namuroise, à cette époque, est constituée de fortes têtes. D’aucuns murmurent même qu’il y avait une guerre des chefs entre Visart et le très médiatique Christian Panier. Les deux hommes, amis de longue date, qui ont déjà passé des vacances ensemble, n’ont pas du tout le même tempérament. Le premier manque d’humour alors que le second n’hésite pas à danser sur les tables. En outre, les relations n’étaient pas au beau fixe avec Christine Matray, qui était à la tête de la très progressiste Association syndicale des magistrats (ASM). Tous deux ne partageaient pas les mêmes idées. Au début des années 2000, Visart a d’ailleurs créé, avec Karin Gérard, un autre syndicat, l’Union professionnelle des magistrats (UPM), plus conservateur.

Les mauvaises langues suggèrent que cela l’a aidé à être élu au poste de procureur général à Liège, en 2005 (lire ci-dessous). Son arrivée dans la Cité ardente, cadenassée par les socialistes et les francs-maçons, a tout de même été une bonne surprise. A 53 ans, Cédric Visart devenait ainsi le plus jeune membre du collège des procureurs généraux. Il s’occupe de domaines spécifiques comme les jeux de hasard, la fraude sociale, la traite des êtres humains et la drogue. Son mandat se terminera en 2012. Après ? Ce parfait trilingue français-néerlandais-anglais sera peut-être tenté par le monde judiciaire européen dont l’avenir reste à imaginer. l

Thierry Denoël

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