Des passagers se sont insurgés contre le refoulement musclé d’un sans-papiers. Brussels Airlines a décidé de les interdire de vol…
A u-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable est le titre d’un roman de Romain Gary. Il résume aussi la lettre envoyée par la compagnie aérienne Brussels Airlines à trois passagers, dont un Camerounais, Serge Ngajui Fosso. Le 28 avril dernier, ceux-ci s’étaient insurgés contre l’expulsion vers Douala du sans-papiers Ebenizer Folefack Sontsa. » Les policiers qui l’accompagnaient lui mettaient les mains sur la bouche et sur le nez pour l’empêcher de crier « , témoigne Fosso, qui se souvient de Semira Adamu, morte étouffée en 1998 dans des circonstances similaires. Brussels Airlines accuse les trois voyageurs d’avoir provoqué une » émeute » et conclut : » Nous estimons que vous avez mis sérieusement en danger la sécurité des autres passagers et considérons vos agissements comme inacceptables. »
La procédure d’expulsion a été annulée, et les trois opposants débarqués manu militari par des policiers. Sanction supplémentaire : ils sont désormais indésirables sur les vols de la compagnie durant six mois. Fosso, qui a passé plusieurs heures en cellule, avait filmé la scène : les images ont été effacées de son appareil. » Toute cette journée, j’ai été traité avec mépris et violence parce que j’ai été un moment la bouche d’un malheureux qui n’avait point de bouche, parce qu’en protestant dans l’avion, je suis allé au secours d’un être humain qui était maltraité et qui appelait au secours « , écrit-il sur un blog.
» Si M. Fosso avait été aussi courtois qu’il le prétend, on n’aurait eu aucune raison de le débarquer. Mais il est question ici de mise en danger, d’attitude menaçante, d’injures… « , réplique Thierry van Eyll, porte-parole de Brussels Airlines. Celle-ci est habilitée à prendre toutes les mesures nécessaires, y compris la contrainte, à l’égard de personnes qui représentent une » gêne pour le confort ou la commodité » des autres passagers. Mais, en réalité, tout est question de chronologie : les cris du sans-papiers perturbent les passagers, qui réagissent ensuite… » La manière dont la compagnie qualifie l’attitude de Fosso est totalement abusive, dénonce Pierre-Arnaud Perrouty, de la Ligue des droits de l’homme, qui soutient Fosso. Il est ridicule de prétendre qu’il aurait mis en danger la vie de qui que ce soit. » L’explication de la compagnie tombe d’autant plus mal qu’Ebenizer Sontsa s’est suicidé au centre pour illégaux de Merksplas vendredi 2 mai.
Brussels Airlines, entreprise peu citoyenne ? » Le rapatriement forcé et la discipline à bord sont deux questions distinctes. Mais, dans l’esprit du public, elles se télescopent de façon malheureuse « , regrette Thierry van Eyll, qui rappelle que » tant que la porte de l’ avion est ouverte, c’est la loi belge qui est en vigueur » et non l’autorité du commandant de bord. » Il aurait été plus facile pour nous de laisser les trois passagers dans l’avion, poursuit-il. Cela nous aurait évité un retard qui, au final, nous coûte cher, sans compter la campagne de dénigrement à notre encontre. » Des clients ont en effet annu- lé leurs réservations et renvoyé leurs cartes de fidélité qui permettent d’accumuler des » miles » pour des vols gratuits.
Ce genre de protestations se multiplie en Europe. Pourquoi dès lors continuer d’utiliser des vols commerciaux pour expulser des sans-papiers ? Pour Van Eyll, » c’est à la demande de l’Etat que nous procédons à ces rapatriements. Nous acheminons également des criminels extradés. Au nom de quoi devrions-nous nous y opposer ? » Une directive du Conseil de l’Europe recommande d’ailleurs de procéder aux expulsions à bord de vols commerciaux, car ce moyen » permet la transparence et la publicité « . La compagnie ne divulgue toutefois pas les juteuses recettes engrangées grâce à ces retours forcés. Pas plus que le nombre de policiers qui, cynisme ultime, partent en vacances grâce aux » miles » accumulés lors des expulsions . l
François Janne d’Othée