Un prévenu comme les autres

Dominique Strauss-Kahn découvre la justice américaine, ses prisons et ses règles. Malgré sa notoriété, le Français n’a pas pu obtenir sa libération sous caution.

DE NOTRE CORRESPONDANT À NEW YORK

Soudain, Dominique Strauss-Kahn a senti le danger. Figé, abattu, le patron du FMI a tenté de s’adresser à la juge. Son avocat l’en a dissuadé d’un geste discret. Melissa Jackson, qui officiait ce 16 mai au tribunal pénal de Centre Street, à Manhattan, n’avait qu’une idée en tête: empêcher le présidentiable français de retourner  » dans un pays d’où il ne pourrait pas être extradé « . Le syndrome Polanski. Les trente années de fuite du célèbre cinéaste ont pesé dans ce refus de libérer sous caution un personnage d’une telle notoriété.  » C’est simple, cela n’arrive jamais, commentait un avocat dans les couloirs, je n’y vois que des représailles américaines après l’affaire Polanski.  » DSK dormira donc dans l’infâme prison de Rickers Island, en attendant que ses défenseurs requièrent, à partir de ce vendredi, sa libération sous caution auprès d’un autre juge. En quarante-huit heures, le patron du FMI sera passé de la suite 2806 du Sofitel à l’univers carcéral américain…

Le dimanche 15 mai, on l’a extrait du commissariat de Harlem, mains menottées derrière le dos comme un mafieux. Fermement tenu par deux inspecteurs en civil, il affronte la mitraille des flashs sur la 124e Rue, avant d’embarquer, mine sombre et exténuée, dans un convoi de voitures à destination du sud de Manhattan et du tribunal de Centre Street.

Il était bien trop tard, ce soir- là, pour qu’il comparaisse devant le juge afin de plaider coupable ou non coupable, et d’apprendre le montant de sa caution. Le grand argentier de la planète a donc passé la nuit dans les  » Tombes « , l’immense dépôt carcéral proche du palais de justice, ainsi surnommé en hommage à l’architecture de mausolée pharaonique du bâtiment d’origine, détruit à la fin du XIXe siècle.

Le matin du lundi 16 mai, à nouveau menotté, l’ex-présidentiable a été transféré, via un dédale de sous-sols, dans l’une des cellules situées à l’arrière du prétoire n° 130, au rez-de-chaussée du palais de justice, pour attendre son tour, au milieu des dealers pris en  » flag « , des violeurs en réunion et de gangsters encore ensanglantés par une baston initiatique.

La vision furtive d’un couloir jalonné de barreaux, chaque fois qu’un nouveau prévenu entre dans la salle par une porte, à la droite du juge, laisse imaginer l’affront que subit l’ego de Dominique Strauss-Kahn. Côté public, sur les bancs et dans les larges couloirs bondés, le spectacle du 100 Centre Street présage aussi du procès-psychodrame à venir. Au milieu des familles éplorées, des gosses braillant dans leurs poussettes, les avocats de DSK confèrent dans le hall comme des patriciens indifférents au chaos ambiant: Benjamin Brafman, son principal défenseur, avec William Taylor, un lawyer réputé de Washington. A lui seul, Brafman incarne une stratégie : le ténor des barreaux de New York et de Californie, remarqué en 2004 lors du procès pour pédophilie de Michael Jackson, est surtout connu pour avoir sorti du pétrin le rappeur producteur P. Diddy, amant de Jennifer Lopez, accusé en 1999 de port d’arme illégal, et l’artiste Jay-Z, condamné, grâce à lui, à une simple mise à l’épreuve après une inculpation pour coups et blessures envers un de ses producteurs. Tout l’art de cet orfèvre des affaires de célébrités consistera à préserver l’image de son client et à en démontrer l’humanité sans paraître trop accabler la victime.

L’identité de cette dernière, une femme de chambre d’origine guinéenne âgée de 32 ans, mère d’une fille de 15 ans, restera officiellement secrète, en vertu des lois américaines protégeant les victimes de viols (voir encadré). Le 15 mai, dans l’après-midi, alors qu’elle venait d’identifier formellement DSK derrière une vitre sans tain au commissariat de Harlem, l’employée du Sofitel a été escamotée, la tête cachée par une couverture. Pourtant, aucun détail de sa vie, s’il permet d’insinuer qu’elle était consentante, n’échappera au grand déballage devant les jurés.

Les examens médico-légaux complémentaires ordonnés par l’Etat de New York le 15 mai, avant même la comparution de DSK devant le juge, ont pour but de préserver des éléments de preuve essentiels: l’origine des griffures constatées sur le corps de DSK, les traces d’ADN encore présentes sous les ongles des deux protagonistes. Car l’accusation pense alors que le prévenu sera libéré sous caution, et autorisé, en raison de son statut et de ses fonctions, à se rendre à l’étranger, ce qui pourrait retarder ou compromettre d’autres prélèvements indispensables au procès.

Il a recours aux services du roi des bailleurs de fonds

D’ailleurs, DSK cherche, à ce moment-là, à financer le montant de la caution proposé par ses défenseurs : 1 million de dollars ! Sur les conseils de Benjamin Brafman, Strauss-Kahn a recours aux services du roi des bailleurs de fonds judiciaires de New York, un certain Ira Judelson. Son officine spécialisée a notamment financé la libération de stars du rap ou du football américain. Judelson exige des garanties, des gages immobiliers ou autres, lui certifiant qu’il reverrait son argent si son client fuyait à l’étranger. Le bondsman (prêteur de cautions) veut des détails, aussi, sur les déplacements ultérieurs de l’accusé, qui dépassent en précision les exigences des autorités judiciaires.

La presse new-yorkaise, toujours prompte à s’emparer des celebrity scandals, reste pourtant en retrait devant la déferlante des journalistes européens et surtout français. DSK, fort peu connu du grand public américain, appartient encore au monde obscur et lointain de l’élite internationale. Pour combien de temps encore ? Le tabloïd Daily News consacrait sa Une du 16 mai au patron du FMI, sous le titre  » Le Perv «  (Le pervers). Le NewYork Post fait de même, avec la manchette  » French Whine «  ! (La pleurnicherie française), et un DSK menotté en couverture. L’Amérique le découvre, et lui promet un cauchemar.

PHILIPPE COSTE

L’ancien présidentiable attend son tour au milieu des dealers

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