Haute tension à Kinshasa. Le pouvoir tente d’empêcher que Floribert Chebeya, le défenseur des droits de l’homme assassiné le 1er juin, soit inhumé dans la capitale le jour de la commémoration de l’indépendance.
De son vivant, Floribert Chebeya faisait figure de poil à gratter du pouvoir congolais. Mort assassiné, le président de la Voix des sans-voix dérange encore plus le régime en place. Les associations congolaises de défense des droits de l’homme persistent en effet dans leur intention d’organiser ses obsèques à Kinshasa le 30 juin, le jour même du 50e anniversaire de l’indépendance. Un culte £cuménique à la mémoire de Chebeya est prévu ce matin-là, avant l’inhumation au cimetière de la Gombe, au centre-ville. » C’est l’épreuve de force avec les autorités, constate un journaliste kinois. Car le souci du président Kabila est d’éviter tout incident le 30 juin, alors que le roi Albert et d’autres invités étrangers assisteront au grand défilé du cinquantenaire. «
Des funérailles à Bukavu ?
Le pouvoir aurait, dès lors, décidé de faire transférer le corps à Bukavu (Sud-Kivu), ville d’origine de Chebeya, afin que l’enterrement ait lieu plus tôt et loin de la capitale. La veuve de Chebeya s’y opposerait, mais les pressions sur sa famille et ses proches se feraient de plus en plus fortes. » Je ne sais s’ils parviendront à tenir bon jusqu’au bout, confie Me Jean-Claude Ndakanyi, l’avocat, à Bruxelles, de la Voix des sans- voix. Je viens d’apprendre que les collaborateurs de Floribert étaient interrogés et étroitement surveillés par les forces de l’ordre. «
Le gouvernement congolais n’a pas répondu, en outre, aux demandes de l’ONU, de l’Union européenne, des ONG locales et de la communauté des Bashi (l’ethnie de Chebeya) de créer une commission d’enquête indépendante. Plus surprenant : le général John Numbi, pilier sécuritaire du régime Kabila, suspendu de ses fonctions après avoir été mis en cause par l’un des exécutants présumés de l’assassinat – le colonel Mukalay, chef des services spéciaux de la police -, se déplacerait en toute liberté dans Kinshasa, selon plusieurs sources. Enfin, le corps d’un témoin gênant, celui du chauffeur de Chebeya, a disparu depuis le soir où son patron a été assassiné.
Un geste du roi ?
Dans de telles circonstances, de plus en plus de voix, au sein de la diaspora congolaise de Belgique, jugent » inopportun » le déplacement d’Albert II au Congo. Embarrassé par cette affaire, le chef de cabinet du souverain aurait pris à nouveau contact avec des sources bien informées du dossier. » Si le roi entreprend malgré tout le déplacement, le Palais devrait au moins faire un geste, comme celui de déposer une couronne sur la tombe de Chebeya « , estime un ami de la victime. » Organiser l’inhumation le 30 juin est, certes, un acte politique, admet Me Ndakanyi. Mais l’assassinat de Floribert n’est-il pas, lui aussi, politique ? Il a été liquidé notamment parce qu’il envisageait de déposer plainte contre le général Numbi et d’autres dirigeants congolais impliqués, selon lui, dans des massacres au Bas-Congo en 2007 et 2008. «
Entre-temps, l’autopsie du corps de Chebeya, pratiquée par une équipe de médecins légistes néerlandais à l’hôpital Mama-Yemo, confirme la mort violente, même si les termes très » diplomatiques » utilisés par l’ambassade des Pays-Bas sont plus équivoques (la cause du décès n’est » pas encore établie « , mais » l’usage de la violence n’est pas exclu « ). Lors de leur visite à la morgue, des proches de la victime avaient pu relever sur son corps des traces de sang et de coups. Il faudra attendre deux à quatre semaines pour connaître les résultats complets de l’analyse.
OLIVIER ROGEAU
L’autopsie du corps de floribert Chebeya confirme la mort violente