Un goût de cendres

Les émeutes urbaines laissent la classe politique désemparée. Censé organiser le  » vivre ensemble « , le modèle multiculturel britannique a engendré de nouvelles formes de racisme. Et une partie de la jeunesse, à la dérive, n’a d’autre horizon que la culture de la violence.

Comme à chaque crise sérieuse, la même référence s’impose au royaume : celle du sang-froid face aux bombardements de terreur de la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de la troisième nuit de violences, le 9 août, le quotidien de la capitale London Evening Standard publiait ainsi un cahier spécial sur les pires dégâts  » depuis le Blitz « .

A coup sûr, les quatre nuits d’émeutes qui ont ravagé certaines rues de Londres puis de l’Angleterre du Nord constituent le défi le plus ardu pour le Premier ministre, David Cameron, depuis sa victoire électorale, au printemps 2010. Celui-ci l’a bien compris, qui a raccourci ses vacances en Toscane et, lui aussi, évoqué le Blitz devant un Parlement rappelé pour une session extraordinaire. Dans une Angleterre dont le centre de gravité s’est déplacé vers la droite depuis trente ans, un conservateur ne peut faillir sur le terrain de l’ordre public. De fait, la réponse immédiate – des renforts de police et près de 2 300 arrestations – aura suffi pour mettre un terme au désordre. Les 16 000 bobbies, cinq fois plus qu’à l’ordinaire, déployés, à partir du 9, devant les galeries marchandes et les commerces de produits électroniques dans tout Londres, du chic Notting Hill à l’est bigarré de Hackney, ont joué leur rôle de dissuasion.

 » C’est un affrontement entre Noirs et Blancs ! « 

Cette flambée de violence laisse néanmoins ouverte la question délicate de l’intégration de populations issues de l’immigration et du fragile équilibre entre communautés. Certes, à Manchester, ce sont des jeunes de toutes origines qui ont attaqué le centre-ville. Mais au départ, à Londres, même si les médias et la police ont pris soin de ne pas le souligner, il s’agissait bien d’une émeute ethnique. La mort, dans des circonstances qui restent à élucider, d’un jeune Anglo-Caribéen, Mark Duggan, poursuivi par la police, et les rumeurs qui se sont ensuivies ont enflammé des jeunes Antillais. Lesquels ont attaqué la police et pillé des commerces. Au tribunal de Westminster, quelques jours plus tard, le défilé des personnes interpellées confirmait la large appartenance des fauteurs de trouble à cette communauté. Plus inquiétant encore, les témoignages égrenés par les médias ont laissé apparaître le racisme des casseurs. Ici, un jeune homme blond humilié et dépouillé de ses vêtements par un trio de jeunes Caribéens ; là, un étudiant malaisien à la mâchoire brisée. A Hackney, une grand-mère antillaise de 45 ans, Pauline Pearce, s’est interposée avec sa canne alors que des émeutiers tabassaient un passant qui avait eu la mauvaise idée de prendre des photos sur son téléphone portable.  » Vous êtes en train d’en faire un affrontement entre Noirs et Blancs !  » leur a-t-elle hurlé.  » Mais c’est ce que nous voulons !  » ont-ils répondu.  » Effondrée « , la quadragénaire dit  » ne plus comprendre les jeunes d’aujourd’hui « . A Birmingham, la mort de trois jeunes Pakistanais, délibérément fauchés par un jeune Noir en voiture alors qu’ils voulaient défendre une station- service prise pour cible, a suscité un début de panique. Dans cette même ville, il y a six ans, des batailles de rue avaient opposé, quarante-huit heures durant, les communautés ethniques. Une rumeur – infondée – s’était répandue sur le viol d’une jeune fille noire par des Pakistanais. Cette fois, il a fallu que le père d’une des victimes, Tariq Jahan, devant les caméras de télévision, appelle au calme et exhorte les Pakistanais à  » rentrer chez eux « , alors que certains criaient vengeance.  » Noirs, Blancs, Asiatiques, nous vivons tous ensemble dans la même communauté « , a-t-il plaidé. Sur Dudley Road, devant la station d’essence, théâtre du drame, des fleurs s’amoncellent sous une bannière où l’on peut lire :  » Haroon, Shazad, Abdul : assassinés pour avoir protégé notre communauté.  » Vice-président du centre afro- caribéen de la ville, Alton Burnett a présenté les regrets de sa communauté avant de rejeter la responsabilité du drame surà le gouvernement Cameron.

Des jeunes coupés des codes sociaux collectifs

 » Si la police a tardé à réagir, juge Douglas Murray, analyste à la Henry Jackson Society, c’est à cause du poids du politiquement correct. Accusée à tout bout de champ de racisme institutionnalisé et de brutalité, elle n’ose plus intervenir face aux délinquants, a fortiori lorsqu’ils sont noirs.  » En février dernier, dans un discours remarqué prononcé à Munich, David Cameron avait estimé que,  » avec la doctrine du multiculturalisme d’Etat, nous avons encouragé différentes cultures à vivre séparées les unes des autres et en marge du courant majoritaire « . Le climat de tension ethnique de la semaine dernière lui aura donné raison. Mais le multiculturalisme, cette vision d’une société qui s’ordonnerait sur des lignes de partage tracées selon le critère communautaire et que reflète la géographie londonienne, pourrait bien, toutefois, sortir renforcé des derniers événements. Au début des troubles, dans la capitale britannique, face à une police anglaise surprise et, dans un premier temps en tout cas, inerte, chaque communauté se réfugiait naturellement dans un réflexe d’autodéfense. A l’ouest, à Southall, 700 à 800 sikhs, enturbannés, armés de sabres et de battes de cricket, passaient la nuit dehors afin de protéger leurs temples et leurs biens. A Dalston, au nord-est, c’étaient les commerçants turcs qui chassaient les pilleurs. A Whitechapel, les Bengalis…

L’ordre est revenu. Mais pour combien de temps ? Les violences de la rue ont imposé cette brutale évidence : un pan de la jeunesse anglaise, issue de l’immigration caribéenne, est à la dérive, coupé des codes sociaux collectifs.  » Dès que la police a réoccupé le terrain, tout a cessé, commente la chercheuse en criminologie Caroline Bracken au think tank Civitas. Cela prouve que ces pillages étaient dictés davantage par l’opportunisme que par un motif politique.  » C’est également ainsi que le leader de l’opposition, le travailliste Ed Miliband, l’a compris : il a condamné le  » comportement criminel des individus  » impliqués dans les pillages, avant de citer parmi les  » causes complexes  » la désagrégation de l’autorité parentale, l’absence de modèle, la culture de gangs et le mauvais exemple des banquiers  » cupides et égoïstes « . Surtout, il a sèchement repoussé les arguments de ceux de ses lieutenants qui mettaient en avant la responsabilité des coupes dans les budgets sociaux ou même l’augmentation des droits de scolarité à l’université. Et pour cause ! Les coupes ne sont pas encore intervenues, et les violences ont généralement été l’£uvre d’adolescents qui ont décroché du système scolaire dès le secondaire. Le résultat ? Quand le chômage frappe 20 % des Blancs de leur âge, 1 jeune Noir sur 2 est sans emploi. Et ils ont huit fois plus de chances d’être arrêtés par la police.  » Beaucoup sont dépourvus d’infrastructure mentale, résume Emily Shenton, d’Arrival Education, une organisation d’insertion de jeunes en difficulté. Ils ne sont pas capables de penser à l’avenir ni de saisir l’occasion au vol.  » Au pouvoir entre 1997 et 2010, les travaillistes avaient échoué à intégrer ce sous-prolétariat, proprement inemployable ; les conservateurs sont aujourd’hui tout aussi démunis face à leur violence et à leur tranquille amoralité.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL JEAN-MICHEL DEMETZ

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