Un  » diktat  » francophone, vraiment ?

Y a-t-il encore un stratège compétent au VLD, le parti libéral flamand du Premier ministre ?  » Un stratège de bistrot « , lançait tout récemment le socialiste Louis Tobback, furieux des man£uvres du président libéral dans le dossier de l’octroi du droit de vote communal aux non-Européens. Il est vrai que l’acharnement mis par ce parti de la majorité à faire échouer la proposition de loi (déjà votée au Sénat) l’a conduit par deux fois à proférer de lourdes menaces pour opérer ensuite une piteuse courbe rentrante. Ce fut d’abord, en novembre dernier, le sénateur Hugo Coveliers qui menaçait d’actionner au Parlement la procédure de la  » sonnette d’alarme  » et de provoquer une crise. Ce fut ensuite, tout récemment, la volonté d’une partie du VLD de quitter la majorité gouvernementale si la Chambre adoptait le texte abhorré.

Depuis, les choses ont fait mine de se calmer, non sans une tentative, pour les libéraux flamands, de sauver la face avec un amendement bizarroïde. En imaginant de priver du droit de vote ceux qui se seraient vu refuser la nationalité belge, le VLD en viendrait à décourager les demandes de naturalisation, lui qui ne jure que par elle ! Pour un non-Européen désireux de participer à la vie politique locale, il vaudrait mieux, en effet, ne prendre aucun risque et s’abstenir de demander la nationalité belge. Un comble.

La coalition est préservée, le gouvernement Verhofstadt II a évité l’obstacle et le VLD obtient une circulaire qui ne fait, en réalité, que consigner une disposition générale déjà valable pour les Belges et les Européens ( lire l’article d’Isabelle Philippon en page 20). Mais tout n’est pas rentré dans l’ordre pour autant, comme si l’incident n’avait jamais eu lieu. Comme la mer qui se retire en abandonnant l’écume souillée sur le sable, les propos tenus ces derniers jours par certains responsables politiques flamands offrent le spectacle d’une cohabitation communautaire politiquement en ruine.

Qu’a-t-on entendu dans la bouche d’un Hugo Coveliers ou d’un Herman De Croo, président VLD de la Chambre ? Que l’insupportable, chez leurs amis politiques, n’était pas seulement dans l’élargissement du droit de vote, pour les communales de 2006, à quelque 120 000 personnes. Mais qu’il est aussi û surtout ? û dans cette volonté francophone inébranlable qui aura raison, avec les socialistes du Nord, de l’opposition des autres partis flamands. Ainsi, une majorité parlementaire composée principalement, pour une fois, de voix francophones va voter une loi qui déplaît à la minorité, et voilà une certaine Flandre scandalisée. Cette vision des choses est curieuse et choquante.

Curieuse, en effet, car elle suggère qu’il y aurait deux sortes de majorité fédérale : la bonne, qui garantit aux élus flamands, plus nombreux, le contrôle parlementaire en toutes circonstances. Et puis l’autre, la mauvaise. Curieuse, aussi, car elle reviendrait à exiger la double majorité linguistique même là où la loi ne la prévoit pas.

Cette façon de dénoncer le  » diktat wallon  » (ainsi qu’il fut dit au congrès du VLD) est choquante pour tous les francophones qui, eux aussi, ont leur orgueil. On n’est pas loin, au nord du pays, de considérer que l’attitude des voisins du Sud vis-à-vis de ce projet de loi tient de l’ingérence étrangère dans les affaires de la Flandre. Peut-être faudra-t-il en arriver un jour à régionaliser aussi le code électoral, ce qui nous mènerait tout droit au confédéralisme. Mais, pour l’instant, la matière relève toujours de la compétence fédérale.

Herman De Croo l’a clairement annoncé sur les ondes de la RTBF, dans un grand numéro de paternalisme mielleux : les francophones vont devoir payer tôt ou tard leur audace. Bien sûr, lui-même n’y sera pour rien et il en éprouve à l’avance beaucoup de regrets. Mais c’est ainsi : petits amis du Sud, vous n’avez pas été très sages ; nous allons devoir sévir un peu… Comment s’étonner, alors, qu’un Robert Collignon, président (PS) du parlement wallon, tienne à Paris, devant le Cercle franco-wallon, des propos aussi radicaux.  » Je me demande, disait-il le 9 février dernier, combien de temps encore les Bruxellois francophones et les Wallons accepteront que la solidarité fédérale se négocie, s’achète ou se quémande. Je me demande combien de temps les Wallons supporteront la dictature de la majorité. Nous n’avons pas vocation à la soumission, encore moins au protectorat.  »

Le pire est qu’Herman De Croo dit vrai. Le démon communautaire est sorti de sa boîte mal fermée. Et, à la première occasion, le VLD lavera l’affront. Guy Verhofstadt, qui s’est souvent flatté d’avoir apaisé les tensions sur ce terrain depuis qu’il gouverne, aura donc fort à faire pour éviter de sérieuses empoignades. D’autant que les francophones auront sans doute puisé des forces et tiré des leçons de l’épisode actuel.

de Jean-François Dumont (Rédacteur en chef adjoint)

Une majorité parlementaire, composée essentiellement de voix francophones, va voter une loi qui déplaît à la minorité, et voilà une certaine Flandre scandalisée. Cette vision des choses est curieuse et choquante

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