Un coeur pur

Météore des lettres hongroises, Attila Jozsef fut un poète précoce et surdoué à l’incroyable destin. L’édition de son ouvre le sortira-t-elle enfin de l’oubli ?

Aimez-moi. L’îuvre poétique, par Attila Jozsef. Phébus, 704 p.

Si vous ne deviez lire qu’un recueil de poèmes cette année (et même la suivante), retenez bien ce nom : Attila Jozsef. Malgré les consonances conquérantes de son état civil, ce  » Rimbaud magyar  » fut l’homme le plus doux du monde. Un météore qui, au début du siècle dernier, illumina le ciel des lettres hongroises avant de disparaître prématurément. Et de basculer dans l’oubli.

Aussi faut-il saluer le travail de Jean-Pierre Sicre, patron des éditions Phébus, et du traducteur Georges Kassai, qui, cent ans après la naissance d’Attila Jozsef, publient ce gros recueil de 700 pages consacré à la vie et à l’£uvre poétique d’un quasi- inconnu jadis traduit et admiré par Cocteau, Eluard, Guillevic, Vercors, Seghers, Cayrolà Alors que ses textes étaient depuis longtemps épuisés ou ignorés, cette nouvelle édition relance dans la course à la postérité un grand poète en révolte permanente contre l’injustice et les bassesses du monde.

Pour comprendre l’£uvre émouvante, spontanée, très autobiographique d’Attila Jozsef, il faut d’abord suivre à la trace le destin de cet homme né en 1905 dans une famille pauvre. Le père est savonnier et déserte vite le foyer. La mère, une blanchisseuse à la santé fragile – elle mourra en 1919 – ne pouvant élever seule ses enfants, Attila se retrouve chez un tuteur où il doit travailler pour se nourrir et voler du charbon pour se chauffer. Hypersensible, il fait, pour une paire de claques, une tentative de suicide à… 9 ans. A 11, il écrit son premier poème. A 15, il s’engage comme mousse au fil du Danube. Réintègre le lycée, où il tombe amoureux de la fille du proviseur, pour laquelle il publie, dans un journal local, un poème si enflammé qu’il est renvoyé de l’établissement. Et avale, dans la foulée, 60 cachets d’aspirine sans réussir à se donner la mort.

A 17 ans, ce surdoué écorché, gouailleur, provocateur comme Rimbaud à ses débuts (même si Attila ne connaît pas encore l’£uvre du Français et n’égale pas son génie), se fait remarquer avec un premier recueil de poèmes – Le Mendiant de la beauté – aux accents baudelairiens. Admirateur de Villon, il se sent – non sans motifs – une âme de maudit, rêve de cracher au monde sa révolte, de mourir jeune. Et manque d’y parvenir le jour où il s’allonge en travers d’une voie de chemin de fer. Extraordinaire coïncidence, un autre candidat au suicide lui brûle la politesse un kilomètre en amont. Et lui sauve la vie.

Petit Poucet rêveur (avec une forte propension au cauchemar), il continue alors sa route. Et son travail d’écriture. Ses poèmes Le Christ révolté et C£ur pur sont censurés. Attila s’installe donc à Vienne puis à Paris. Revenu en Hongrie, il flirte avec la politique, la psychanalyse et les femmes, qui, au lieu de guérir sa maladie de l’âme, ne font que l’aggraver. En 1937, le poète pose une dernière fois sa tête sur des rails, mais contre les roues d’un wagon prêt à démarrer pour être sûr de ne pas se manquer. Son corps démantibulé sera traîné sur plus de 15 mètres. Attila Jozsef avait 32 ans.

Après sa mort, le PC hongrois tente en vain de récupérer politiquement l’£uvre bouleversante, humaniste et universelle qu’il a laissée. Mais, bien que l’on inaugure aux quatre coins du pays des stades Attila-Jozsef et que les camarades écrivains du PCF le traduisent en français, Attila, même mort, est rétif à tout embrigadement, à tout totalitarisme. A la fois enflammés et désespérés, réalistes et surréalistes, engagés et détachés, bucoliques et citadins, en vers libres ou non, ses poèmes, qui essaient tous les genres, abordent tous les thèmes, n’appartiendront jamais qu’à lui. En particulier les plus beaux, écrits à la fin de sa courte vie.

Sicre et Kassai le savent bien, eux qui, durant des années, ont passé à leur gueuloir cette £uvre si musicale qu’ils ont voulu traduire comme on interpréterait du Bartok. Ensemble, ils ont retrouvé et comparé les différentes versions ; ensemble, ils ont sélectionné les meilleurs textes intimes et établi un riche appareil de notes pour restituer le poète dans ses contradictions, sa complexité, sa fragilité d’orphelin en éternelle quête d’amour. Et le léguer à la postérité. On ne le répétera jamais assez : lisez Attila Jozsef.

Olivier Le Naire

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