ULB : du bon et du mauvais usage du libre-examen

Deux dérapages antisémites au Cercle Solvay, des réactions timorées des autorités académiques… L’ULB doit faire face à de sérieuses turbulences.

Ancien recteur de l’ULB et ancien président de son conseil d’admi-nistration, Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, n’y va pas par quatre chemins :  » On a affaire à de brillants techniciens financiers mais de vrais petits cons qui sont tout sauf des intellectuels.  » La cible de cette flèche acérée ? Les étudiants de Solvay, la prestigieuse école de commerce de l’ULB, qui, en octobre 2010, ont organisé un baptême nazi et commis un dérapage antisémite dans le numéro de mars 2011 de leur revue, Le Caducée. D’abord timide, la réaction des autorités universitaires se manifeste plus fortement aujourd’hui [lire l’entretien avec le recteur Didier Viviers en pages suivantes] car depuis, l’ULB se débat avec l’étiquette infamante d’  » antisémite  » ou de  » nihiliste « .

Les événements litigieux se sont désagréablement  » rétroscopés « . Le baptême étudiant du Cercle Solvay dans un décor et avec des saluts nazis remonte à octobre 2010, mais il n’a été médiatisé par l’Agence diasporique d’information que le mercredi 18 mai dernier – le jour même où le réalisateur danois Lars von Triers était expulsé de Cannes pour sa déclaration de sympathie à l’égard d’Hitler. L’affaire du Caducée a été rendue publique début avril et sa gestion a été plus que laborieuse. Ce journal estudiantin voué à la dérision a publié une variation pseudo-humoristique sur les religions, avec l’aide des clichés les plus éculés : les houris des musulmans (ces vierges destinées à être les compagnes des élus dans le paradis de Mahomet), les chrétiens pédophiles, etc. La religion juive était présentée comme la voie royale pour gagner beaucoup d’argent et dominer le monde, des thèmes issus directement des Protocoles des Sages de Sion, avec une fine allusion aux  » fours polonais « .

Alors que Gilles Samyn (CNP), président de l’association Solvay Alumni, faisait très vite part de son indignation, les étudiants ont mis du temps à prendre conscience de la portée de leurs actes. Une pâle excuse sur le site du Cercle  » pour ceux qui ont pu être choqués et blessés « , une lettre embarrassée à l’Union des étudiants juifs de Belgique. Et puis… plus rien. Il a fallu attendre le mois de mai pour que le rédacteur en chef du Caducée démissionne et que le président du Cercle Solvay soit démis de ses fonctions par l’assemblée générale.

Solvay :  » L’électrochoc a été très, très fort… « 

 » Le baptême avait pour but de faire comprendre aux bleus que le libre-examen consiste à ne jamais accepter une chose aussi horrible et abjecte que le nazisme, explique Margaux Vachiery, administratrice du Cercle Solvay. S’il est vrai que l’utilisation des symboles nazis était choquante et très mal faite, nous n’excluons pas de les utiliser. Il est simplement important de les utiliser de manière juste, appropriée et sûrement pas dans un contexte de fête. Nous déplorons vraiment l’utilisation médiatique qui en a été faite. On a voulu faire dans le sensationnel sans réellement investiguer et à cause de cela, beaucoup de personnes et d’institutions ont été trainées dans la boue. L’affaire du Caducée est complètement différente. Ni l’auteur de l’article ni le rédacteur en chef ne sont antisémites mais, sans s’en rendre compte, ils ont véhiculé des clichés qui sont totalement inacceptables. A l’époque, les gens n’ont pas pris conscience de la bêtise de cet article. Cela a terni l’image du Cercle et de l’ULB. Nous sommes tellement attristés par ce qui s’est passé ! On a présenté nos excuses. L’année prochaine, nous allons organiser un cycle de conférences sur la Shoah et le libre-examen. L’électrochoc a été très, très fort…  »

Tous les étudiants de l’ULB ne réagissent pas de la même manière. Ainsi, le Cercle du Libre-Examen (dans le conseil d’administration duquel se trouve un Solvay Boy) a diffusé, le 22 mai dernier, un communiqué exempt de toute remise en question, sommant les autorités de l’ULB de prendre la défense des étudiants qui-ne-sont-pas-antisémites-mais-font-usage-de-leur-liberté d’expression…  » Je ne suis pas d’accord avec la fin du communiqué, réagit Margaux Vachiery. Pour moi, la limite à la liberté d’expression, ce n’est pas la loi, mais le respect.  » Dans un édito à paraitre dans la revue From Solvay du 14 juin prochain, le doyen ff de la Solvay Brussels School, Bruno van Pottelsberghe, remarque que l’  » utilisation déplacée du droit à la liberté d’expression (…) s’apparente ici à un droit à l’irresponsabilité « . Dès lors, comment sensibiliser les étudiants aux conséquences de leurs actes futurs ? Solvay y consacre plusieurs cours. Encore faut-il accepter d’apprendre.  » Apprendre à écouter notre propre conscience « , insiste le doyen.

Casser la logique de l’escalade

En réalité, le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. Les étudiants représentent une force de contestation qu’il n’est pas facile de braver à l’ULB. Le libre-examen a bon dos.  » Je ne crois pas qu’il y ait une réelle montée de l’antisémitisme à l’ULB « , analyse Emmanuelle Danblon, professeur de rhétorique et d’argumentation, qui avait été chargée, de 2006 à 2008, de réfléchir aux valeurs de l’ULB dans le contexte d’une série de polémiques intempestives (en particulier autour de Tariq Ramadan).  » Ces polémiques, de même que l’importation du conflit israélo-palestinien, servaient de chiffon rouge à ceux qui cherchaient à nourrir d’autres conflits, offrant un exutoire à une certaine violence larvée. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’on soit dans le même schéma. Ce qui me frappe, c’est ce que le recteur a nommé le « manque de discernement » des étudiants. Premièrement, ils n’ont pas été capables de faire la distinction entre s’amuser des religions et les clichés antisémites ou propos blessants envers la mémoire de la Shoah. En second lieu, ils se réclament de la liberté d’expression pour tenir un discours consternant d’indigence intellectuelle.  » Pour Emmanuelle Danblon, le recteur de l’ULB a choisi la bonne stratégie en cassant la logique de l’escalade.

Ce n’est pas l’avis de Jacques Brotchi, professeur émérite de l’ULB (neurochirurgie) et sénateur MR couvert de distinctions.  » J’ai démissionné du conseil d’administration de la Fondation de l’ULB [ NDLR : qui collecte des fonds pour la recherche] parce que je ne me sens plus chez moi à l’ULB. Dans ma lettre de démission, je me suis demandé si l’université du libre-examen n’était pas devenue l’université du libre-antisémitisme. Je déplore l’absence de réactions fortes et appropriées à une succession d’incidents. Il y a eu la conférence sur l’humoriste Dieudonné et la passivité, voire le parti-pris du vice-recteur de l’époque, quand des propos antisémites ont été tenus en sa présence. Il y a eu ce simulacre de check-point israélien sur le campus du Solbosch. Ensuite, l’affaire du Caducée et, enfin, la distribution de tracts antisémites en marge de la conférence de Stéphane Hessel [NDLR : auteur de Indignez-vous !]. Quel sera le prochain dérapage ?  »

Marie-Cécile Royen

 » Je me suis demandé si l’université du libre-examen n’était pas devenue l’université du libre-antisémitisme « 

Jacques Brotchi

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