Turquie-Arménie L’enjeu caucasien

Historique : les ennemis héréditaires Ankara et Erevan veulent ouvrir leur frontière commune. Sous la pression de Washington et de Moscou, résolus à garantir les routes du gaz et du pétrole.

En signant, le 10 octobre, à Zurich, deux protocoles visant à rétablir les relations diplomatiques entre leurs deux pays, les ministres des Affaires étrangères turc et arménien, Ahmet Davutoglu et Edouard Nalbandian, ont posé un geste historique. Deux ennemis héréditaires s’engagent à aller au bout du dialogue.

L’affaire n’est toutefois pas gagnée. Il suffit de voir l’accueil glacial rencontré par le chef de l’Etat arménien, Serge Sarkissian, lors de sa tournée mondiale, la semaine dernière, auprès de la diaspora. Celle-ci revendique 9 millions de membres, éparpillés de l’Argentine à l’Australie en passant par les Etats-Unis, le Canada, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Ni la religion ni la langue ne rassemblent plus aujourd’hui cette communauté issue de la Turquie ottomane, dont le tissu conjonctif est la reconnaissance, sous le titre de  » génocide « , des massacres de 1915. Cette crispation identitaire sert désormais de ciment à cette Arménie de l’extérieur, qui pèse numériquement et financièrement plus que la petite république ravagée par des décennies de soviétisme.

Or les protocoles négociés entre les parties turque et arménienne sont un compromis. Il est possible parce que l’Arménie reconnaît désormais les frontières actuelles et abandonne son aspiration à récupérer les territoires perdus. Surtout, la question du génocide est renvoyée à une sous-commission aux contours à ce jour flous et qui sera chargée d’un  » dialogue sur la dimension historique « à

Côté turc, il a fallu également lâcher du lest. Alors qu’Ankara promet qu’il n’est pas question d’abandonner les frères turcophones d’Azerbaïdjan, en conflit avec l’Arménie, force est de constater que l’allié turc n’a pas obtenu par la négociation le retrait des forces arméniennes présentes en Azerbaïdjan. Par ailleurs, la récente rencontre, en Moldavie, des chefs d’Etat des deux républiques caucasiennes, Ilkham Aliev et Sarkissian, n’a débouché sur aucune avancée.

Hillary Clinton et Sergueï Lavrov, véritables parrains

De fait, le dégel arméno-turc doit surtout à la conjonction d’intérêts communs de Moscou et de Washington. Ce qui explique qu’à Zurich, au côté de quelques Européens présents, se sont retrouvés, véritables parrains de la signature, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, et son homologue russe, Sergueï Lavrov. Aux yeux du Kremlin, en effet, la Géorgie est sortie du jeu et il s’agit de la marginaliser en redessinant les nouvelles routes stratégiques du Caucase. Il faut donc se rapprocher de l’Azerbaïdjan, riche en hydrocarbures, quitte à peser sur ce client de la Russie qu’est l’Arménie. A la Maison-Blanche, au même moment et pour des considérations liées aussi à la sécurité des approvisionnements (le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan et le futur gazoduc Nabucco), on s’énerve d’un conflit que l’on juge archaïque. Et quelle belle occasion de démontrer à l’Europe, qui renâcle devant la perspective de son adhésion, que la Turquie peut être un gage de stabilité dans une région désormais vitale pour l’Occident !

JEAN-MICHEL DEMETZ

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