Trop tard, Elio Di Rupo ?

Le PS a lâché Anne-Marie Lizin, maintenant, pour éviter que les  » affaires  » ne gâchent sa campagne électorale. Un mauvais pressentiment : Huy, après Charleroi. Le parfum de scandale qui ennuie aussi le MR à Dinant ou le CDH à Mouscron maintient l’attention sur le sujet qui fâche. Danger pour le PS ! Le rapport à l’argent et au pouvoir y reste tabou.

D’un coup, Elio Di Rupo semble pressé. Le président du Parti socialiste a donc pris ses distances avec la sénatrice-bourgmestre Anne-Marie Lizin, une bombe électorale. Un monde de distance : Lizin a été exclue du PS. C’était ça ou l’horreur, pour Di Rupo. Les affaires d’abus de pouvoir qui collent aux basques de la pasionaria hutoise auraient exhumé de sinistres souvenirs, pollué le début de la campagne électorale pour les régionales. Or, au PS, une campagne, c’est sacréà Maudites affaires, décidément ! Di Rupo pensait les avoir apprivoisées. Malgré les procès, Charleroi est loin dans les esprits. Jean-Claude Van Cauwenberghe n’est plus candidat, et la liste carolo concoctée par le ministre fédéral Paul Magnette privilégiera la nouvelle génération.

Bref, le PS allait aborder le scrutin du 7 juin avec un moral un brin requinqué. On voterait en pleine crise sociale, économique, financière et institutionnelle. Un avantage pour le PS. D’aucuns rêvaient même de damer le pion au MR de Didier Reynders, bousculé, qui sait ?, par les commissions parlementaires Fortis. Restait à évacuer le petit caillou – le cas Lizin – qui traînait dans la chaussure depuis plus d’un an. Comme pour  » Van Cau « , désavoué mais qui reste, lui, membre du PS, Elio Di Rupo a hésité des jours et des nuits avant de trancher. Il a déployé les démineurs, nommé des médiateurs. On l’avait compris, le président jouait la montre. Il décideraità après les élections.

Le silence des conseillers

Quelques alliés de choix étaient restés étrangement vagues. La vice-Première ministre fédérale Laurette Onkelinx s’est montrée bien plus patiente avec Anne-Marie Lizin qu’avec Van Cau et compagnie. Son avocat de mari, Marc Uyttendaele, plaide à l’occasion pour la ville de Huy. Il a défendu Lizin face aux membres de l’opposition, ulcérés par les méthodes de la diva. Ambigu Uyttendaele. Dans un livre intitulé Quand politique et droit s’emmêlent, il avait pourtant chargé la bourgmestre et sa majorité absolue, dès 2005.  » Son attitude méprisante à l’égard de l’opposition et d’une frange importante de la population ne peut être ressentie que comme une insulte à la démocratie.  » Pourquoi accepter d’encore la défendre, dès lors ? Et que dire de Philippe Moureaux, une des consciences du PS ? L’homme à la gâchette facile est resté tapi dans l’ombre, aussi hésitant que Di Rupo. Gêné assurément par l’engagement de son frère Serge, avocat personnelà d’Anne-Marie Lizin et de ses casseroles.

La stratégie du président Di Rupo était vouée à l’échec. Lizin omnipotente, Lizin autoritaire, passe encore. Mais l’affaire des cartes Visa sentait le soufre depuis le début. Un étudiant en Science po l’aurait déduit : qu’y avait-il à cacher au CHRH (Centre hospitalier régional de Huy), si ce n’était des dépenses exagérées ? De l’argent détourné dans un hôpital public en grosse difficulté financière, quatre ans après les goujateries dans le logement social. C’en était trop. Il fallait intervenir. La suite est connue. Courant janvier, la présidence du PS convoque la sulfureuse, convalescente. Celle-ci décline du revers de la main, pour raisons médicales. Mais elle apparaît radieuse sur la chaîne France 24 – acte manqué ou ultime expression d’un sentiment de toute-puissance ? Après le ministre socialiste des Affaires intérieures wallonnes, Philippe Courard, c’est Di Rupo en personne que Lizin ridiculisait.

La part du lion

Le PS aimerait aujourd’hui détourner l’attention. Anne-Marie Lizin ?  » Richard Fournaux, vous voulez dire !  » s’exclamait il y a peu Elio Di Rupo. Une allusion au sénateur-bourgmestre de Dinant, transfuge du MR, suspecté de corruption depuis tant d’années. Le PS attend son procès avec impatience. Tout comme il dénonce les abus de l’ancien homme fort de Mouscron, le CDH Jean-Pierre Detremmerie, visé par les perquisitions massives opérées dans son bastion, en mars 2007. Par les temps qui courent, la direction du PS n’ose le clamer, mais elle le pense très fort : que fait la justice ? Serait-elle plus expéditive lorsqu’il s’agit de mandataires socialistes ? Un terrain glissant. En insistant sur les déviances dans d’autres partis traditionnels, le PS risque de ramener le thème des affaires au c£ur de la campagne électorale. Précisément ce qu’il pensait éviter.

Bien sûr, Detremmerie et Fournaux constituent des  » cas  » emblématiques. Des  » monopolistes  » qui ont géré leur fief sans partage pendant des lunes. La preuve éclatante que le PS n’est pas seul à aimer le pouvoir et ses attributs. A propos de Detremmerie, on sait qu’il chérissait sa ville autant que le club de football qu’il a fait grimper et maintenu en division 1. L’argent public circulait de l’un à l’autre (comme à Charleroi). Et quand l’Excelsior était au bord du gouffre, le culotté Detrem’ sortait une astuce. En 2006, par exemple, le produit de la vente d’un bâtiment appartenant à la ville (un ancien magasin Sarma) se serait retrouvé aussi vite dans les caisses du club de foot. Embarrassé, le CDH a exclu l’encombrant Detremmerie, le 2 février.

Quant à Fournaux, roi du clientélisme, il a pour réputation de changer son bureau de maire en guichet. Dangereux et obsolète. La justice le suspecte d’avoir favorisé le groupe français Accor, il y a dix ans, lors de la reprise du casino de Dinant. En décembre dernier, le parquet a réclamé son renvoi devant un tribunal correctionnel, mais le principal intéressé se débat tant et plus, refusant d’être confronté à des juges dinantais. Le  » suspense  » est donc prolongé.

Mais pour un Detremmerie, un Fournaux ou un Sonnet (cet échevin libéral de Charleroi bientôt jugé pour fraude fiscale), combien de Van Cauwenberghe, de Van Gompel, de Despiegeleer, de Cariat, de De Clercq, de Rovillard, de Dumortier, d’Avril, de Lizin ? A l’approche des élections régionales, le PS n’a aucun intérêt à sortir le boulier-compteur. Il ne saurait faire l’économie des dizaines d’inculpations qui ont éclaboussé les siens. Ni faire oublier qu’une ville entière – la première de Wallonie en nombre d’habitants – a été littéralement colonisée.

Alors, oui, le PS a sans doute raison de sous-entendre que dans de petits parquets de province, des magistrats, sociologiquement proches du MR ou du CDH, ferment parfois les yeux. Pourra-t-il, pour autant, décliner sa part de responsabilité, éclatante, dans la faillite du régime des majorités absolues qui gangrène le sud du pays ? C’est presque mathématique. Malgré le ressac des élections communales d’octobre 2006, le PS d’Elio Di Rupo a conservé une majorité absolue dans 47 communes wallonnes, contre 10 au MR et 3 au CDH. Selon les calculs du Centre de recherche et d’étude socio-politiques (Crisp), il occupe toujours une  » position dominante  » de premier parti dans 74 des 262 communes wallonnes.

 » Papa  » a-t-il retenu la leçon ?

Bien sûr, les affaires ont changé (un peu) le PS, comme la Wallonie, dont le redressement économique est amorcé. Le  » choc  » de l’été 2005, la vision d’un bourgmestre de Charleroi menotté, l’été suivant, ont réveillé les consciences. Plus jamais ça, s’est exclamé Elio Di Rupo. L’homme au n£ud papillon a traqué une petite poignée de  » parvenus « . Le trio carolo Cariat, De Clercq, Despiegeleer, et un Liégeois collectionneur de mandats, Gilbert Van Bouchaute, seule victime collatérale recensée. Par la voix de sa présidente, Joëlle Milquet, l’allié CDH a annoncé une  » tornade éthique « . Ces incantations ont eu quelques effets. Elles dissuaderont sans doute une nouvelle génération politique de franchir à nouveau la ligne rouge. Des décrets régionaux sont aussi venus, qui améliorent la gouvernance. Davantage de contrôle sur les marchés publics, de meilleures règles d’attribution des habitations sociales ou l’interdiction des cartes Visa à l’échelon communal et intercommunal. Bref, la Wallonie a ouvert les yeux sur ses dérives et prié la Flandre politique de balayer devant sa propre porte : le procès Lernout & Hauspie, celui de l’argent facile, démontre l’attrait du Nord pour tout ce qui brille ; l’affaire Moerman, du nom d’une ancienne ministre libérale, témoigne de l’incurie de certains cabinets ministériels flamands ; le scandale du ring anversois, chantier poussif, ébranle les certitudes de la Flandre qui entreprend.

De ce côté de la frontière linguistique, tout est loin d’être parfait, néanmoins. De sombres luttes de pouvoir paralysent le dossier de la câblodistribution ( lire Le Vif/L’Express du 12 décembre 2008). Au Forem, l’office d’accompagnement des chômeurs wallons, des soupçons de détournement et des dépenses de voyage exagérées ont été dénoncés dans ces mêmes colonnes. Des intercommunales et des parastataux résistent encore à la  » perestroïka « . Les champions du cumul des mandats, eux, peuvent dormir sur leurs deux oreilles, puisque, belle hypocrisie !, la loi est restée orpheline de tout dispositif de sanctionsà Et que dire du socialiste le plus populaire du moment, le ministre Michel Daerden, aux allures d’intouchable. Lui et son entourage ont-ils tiré les leçons des affaires ? Les ex-réviseurs Daerden, dont la passion du chiffre s’est transmise de père en fils, se cachent-ils derrière des sociétés-écrans pour contourner l’interdit prononcé par l’Institut des réviseurs d’entreprises (trop de contrats décrochés, par entrisme, dans le secteur public) ?  » Papa « , dont les supporters auraient menacé un député écologiste un peu trop curieux, va-t-il réussir à faire construire un beau stade pour le FC Liégeois, sur ses petites terres d’Ans, après avoir puissamment arrosé le Standard de Liège ? Est-il sain qu’un seul homme, aux casquettes multiples, contrôle autant de leviers de pouvoir dans le triangle du sport, de la politique et de l’économie ? Sans doute Elio Di Rupo poussera-t-il des cris d’orfraie le jour où une presse d’investigation éclaircira ces zones d’ombre. Comme à Huy, où, dit-on dans les rangs socialistes, tout le monde savaità

Les affaires Lizin le rappellent crûment. Une partie du Parti socialiste a continué à fonctionner comme si rien n’était arrivé. Parce que le PS n’a pas voulu, ni pris le temps de réfléchir à son rapport si particulier à l’argent et au pouvoir, forcément endommagé par plus de vingt ans d’occupation ininterrompue de tous les postes de commande, en Wallonie et en Communauté française. Il y a un an, une toute grosse pointure du PS nous confiait sa volonté d’écrire sur le sujet. Lui aurait pu lancer le débat. Il a tout vécu, de l’assassinat d’André Cools, en 1991, aux affaires de Charleroi, en passant par le procès Agusta/Dassault. Il ne l’a pas fait. Influencé par ce leitmotiv : parti d’urgences, sans cesse en campagne, redoutant l’opposition, le PS songe à tout moment à sauver sa peau. Quand osera-t-il l’introspection ?

Philippe Engels

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