Tron, les femmes et le Front

Le maire de Draveil (Essonne, au sud de Paris) fait face à des accusations d’agressions sexuelles. Sa version : c’est une machination du Front national, en guerre contre le grand projet mmobilier de la commune.

L e principe de précaution a eu raison de Georges Tron. Certes, le secrétaire d’Etat français à la Fonction publique n’avait pas la stature internationale, ni l’aura people, de Dominique Strauss-Kahn. Bien sûr, Draveil, la commune de l’Essonne dont il est le maire, n’exerce pas la fascination glamour de Manhattan. Pourtant, aux yeux de sa famille politique, le dossier Tron, cocktail explosif de sexe et de pouvoir, de déballage médiatique et de soupçons de complot, évoque un mauvais remake français d’un scénario américain. Avec Tron en DSK du pauvreà

Eva Loubrieu, 36 ans, et Virginie Faux, 32 ans, deux anciennes employées municipales, accusent l’élu d’avoir abusé d’elles. Par l’intermédiaire de leur avocat, Me Gilbert Collard, les deux jeunes femmes ont porté plainte auprès du parquet d’Evry, qui a aussitôt ouvert une enquête préliminaire. En précisant que les faits, s’ils étaient avérés, pourraient être qualifiés d' » agression sexuelle  » et de  » viol « . Face aux enquêteurs de la police judiciaire de Versailles, Eva et Virginie ont maintenu leurs accusations.

A Draveil, les langues se délient

Militante UMP, Virginie Faux a fait la connaissance du maire, naguère proche de Dominique de Villepin, lors de la dernière campagne municipale. En septembre 2008, il l’a embauchée à l’accueil de son cabinet. La jeune mère de famille a pris contact avec l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) le 15 novembre 2010, quelques mois après une tentative de suicide. Un mois plus tard, deux juristes l’ont écoutée pendant trois heures et demie.  » Sa parole est totalement crédible, tranche Laetitia Bernard, de l’AVFT. Mais elle ne pensait pas qu’on la croirait si elle était seule. Or des rumeurs, à la mairie, évoquaient une autre victimeà « 

Virginie retrouve celle-ci en janvier. Trois ans plus tôt, Eva Loubrieu, relieuse de profession, avait été recrutée par Georges Tron comme responsable du pôle livres à la direction des affaires culturelles. C’était à elle qu’incombait, notamment, l’organisation du Salon draveillois du premier roman. Elle aussi avait tenté de mettre fin à ses jours. Elle aussi voulait  » que ça se sache, qu’il se sente coupable « .

A Draveil, les langues se délient. Ici, l’engouement du maire pour la réflexologie plantaire et sa propension à malaxer les pieds de ses interlocutrices ne font pas sourire tout le monde.  » Plusieurs femmes s’en sont plaintes auprès de moi, rapporte un élu local. Mais je n’ai jamais eu vent d’agressions sexuelles !  » Fabienne Sorolla, vice-présidente du MoDem de l’Essonne et conseillère municipale, est plus sévère :  » Ce que j’ai vécu m’amène à croire les plaignantes, confie-t-elle. A deux reprises, en novembre 2008 et en janvier 2009, Georges Tron a collé son bassin contre mes fesses. A chaque fois, je l’ai violemment repoussé. Il s’est définitivement calmé quand je l’ai menacé de porter plainte contre lui. « 

Désormais, chaque camp fourbit ses armes. Après les confidences distillées par les deux jeunes femmes dans les médias, la défense se démène pour fragiliser leurs témoignages. Selon Georges Tron, elles agiraient par  » vengeance personnelle « , car Eva Loubrieu et Virginie Faux ont toutes deux eu maille à partir avec la mairie.

Virginie, décrite par l’entourage du premier édile comme  » régulièrement en état d’ébriété « , se serait donnée en spectacle lors de la cérémonie des v£ux 2010, au théâtre de la ville.  » Elle s’est couchée sur une table, a soulevé ses vêtements « , écrit Florence Fernandez de Ruidiaz, maire adjointe, dans un courrier interne que Le Vif/L’Express a consulté. A l’automne 2010, son contrat n’a pas été reconduit.

Eva, elle, a fait l’objet d’une plainte de la mairie auprès du parquet d’Evry au printemps 2009. Elle aurait puisé dans la caisse municipale pour faire des emplettes chez Ikea, où elle aurait dépensé 745,85 euros entre novembre 2008 et février 2009. Une fois ces sommes remboursées, la plainte a été classée, mais Eva a perdu son poste.  » Je m’étonne qu’à ce moment-là elle n’ait pas évoqué les agressions qu’elle dit avoir subies « , observe Me Olivier Schnerb, l’avocat du ministre démissionnaire. Elle n’aurait pas osé, selon Me Vincent Vieille, qui était alors le défenseur d’Eva. La jeune femme, assure-t-il, lui aurait tout raconté.

Derrière les accusations qui le visent, Georges Tron pointe une énième machination de la  » famille Le Pen « . Les plaignantes, laisse-t-il entendre, ont été instrumentalisées. Leur avocat, Me Gilbert Collard, n’a-t-il pas annoncé récemment son ralliement à Marine Le Pen ? Voilà deux ans que l’ex- secrétaire d’Etat est à couteaux tirés avec Philippe Olivier, beau-frère de la présidente du Front national, et son jumeau Jacques, tous deux draveillois de longue date et ex-conseillers régionaux FN. L’époux de Marie-Caroline Le Pen est aussi le conseiller politique de Marine Le Pen. L’association Energie Bleu Marine, créée en 2008 pour soutenir la candidature du n° 1 du FN à la présidentielle de 2012, est domiciliée chez lui.

Le 19 mai, le maire recevait Le Vif/L’Express pour dénoncer, une fois de plus, les turpitudes de la famille Olivier. D’après lui, leur différend a pour origine la vente d’une partie du site de l’hôpital Joffre-Dupuytren par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) au Crédit agricole immobilier pour 6,3 millions d’euros. Ces 10 hectares bordent le quartier draveillois de Champrosay, où vivent les frères Olivier. Ceux-ci s’opposent, comme de nombreux riverains, au projet d’édification de 360 logements. Simple querelle de clocher ? Pas pour Georges Tron.  » Ce n’est pas la défense de Draveil qui les intéresse, tranche l’un de ses proches. Les Olivier, qui font de la spéculation immobilière, avaient des vues sur le terrain. Peut-être pour alimenter les caisses du FNà  » Guy Bernfeld, directeur général du Crédit agricole immobilier, renchérit :  » J’ai le sentiment que nous sommes venus gêner un autre projetà  » Visé : le dossier déposé par une mystérieuse société Antipodes, basée à Londres, et appuyé par les jumeaux Olivier et leur ami Philippe Brun, ancien militant UMP et président de l’association anti-Tron Draveil-Villages.  » Nous n’avons pas donné suite, car ce vague projet, farfelu, nous a semblé louche « , indique-t-on à l’AP-HP.

Le ton est monté d’un cran au début de cette année

Dans le camp Olivier, on dément avec force toute camarilla dirigée contre le maire.  » Nous sommes en désaccord sur l’aménagement du site, point, affirme Philippe Olivier. Depuis, Tron nous en veut. Résultat, dès qu’il se casse un ongle, il accuse les affreux du FN ! « 

Le ton est monté d’un cran au début de cette année, lorsque, en février, le site Rue89 a dévoilé l’emploi aidé dont bénéficiait la belle-s£ur de Georges Tron à la mairie. L’intéressé a évoqué alors la  » campagne personnelle extrêmement violente  » menée contre lui par les Le Pen-Olivier. Lesquels se sont vengés en révélant avoir prêté, puis loué un de leurs appartements au maire, en mal de domiciliation fiscale, de fin 2008 à juin 2009. Désormais, à Draveil, ce ne sont plus ces chicaneries, mais les graves ennuis judiciaires de Georges Tron qui animent les conversations.

ANNE VIDALIE, AVEC DAVID DOUCET

Il est à couteaux tirés avec Philippe Olivier, conseiller de Marine Le Pen

 » J’ai le sentiment que nous sommes venus gêner un autre projet… « 

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