Tremblement identi-terre

L’écrivaine américaine Siri Hustvedt nous a habitués à des romans et à des essais vibrants. Voici un livre inclassable sur une expérience aussi intime qu’inopinée. Victime de convulsions, La Femme qui tremble entreprend une quête bouillonnante pour comprendre l’antre du mal.

Situé dans le sixième arrondissement de Paris, l’Hôtel d’Aubusson est un havre de bon goût. Songeuse, Siri Hustvedt se détend peu à peu. A voir cette femme si posée, nul ne peut deviner qu’elle a été ébranlée, en 2005, par un phénomène remuant. Alors qu’elle rend hommage, dans un discours, à son père adoré, elle est prise de tremblements violents. Un événement qui conduira l’écrivain dans un voyage surprenant au sein de la neuropsychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse. Un cheminement décrit comme un polar, dont l’art consiste à accepter une autre part de soi.

Le Vif/L’Express : Ce récit s’appelle La Femme qui tremble, mais qui est la femme qui écrit ?

Siri Hustvedt : Lorsque j’écris de la fiction, je deviens une autre personne. Une voix différente surgit, même si elle m’appartient. En me mentant, je fais jaillir d’autres émotions. Plus qu’un état mental, la créativité englobe un accès aux idées et aux souvenirs inconscients. Ce récit autobiographique est particulier. Il ne m’a pas permis de maîtriser mon mal, mais d’examiner comment l’approcher.

La première crise apparaît lors d’un discours sur votre père disparu. De quelle façon son  » fantôme  » erre-t-il en vous ?

Certains événements influents demeurent en nous, malgré nous. Les fantômes sont présents dans le chagrin qui nous habite. Le détonateur des premiers tremblements peut être perçu comme un deuil à retardement.

Ce voyage au sein du savoir vous aide-t-il à  » dompter  » ces tremblements déstabilisants ?

La biologie, les neurosciences, la psychiatrie et l’histoire de la psychologie m’ont permis de tisser des liens entre divers champs. Travailler avec des patients, en milieu psychiatrique, m’a révélé que nous sommes des entités mouvantes. Tant de choses en nous sont si inconscientes que nous sommes tous étrangers à nous-mêmes. La curiosité intellectuelle envers ma douleur s’est heurtée à l’impossibilité de maîtriser mes maux. Réaliser cela est libérateur. Chaque être humain peut se voir autrement, en se racontant des histoires. Freud me fascine depuis que j’ai 16 ans, parce qu’il s’interroge sur ce qu’il y a à l’intérieur de nous. Où commence-t-on, où finit-on ?

L’identité est-elle votre obsession ?

Absolument [rires]. Pourquoi devient-on qui on est ? Quel lien y a-t-il entre mon mal et ma personnalité ? Autant de questions que j’explore dans mon £uvre. Lorsque mes tremblements débutent, je pense ne pas être moi-même ce jour-là. Or la Femme qui tremble fait partie de moi ! J’ignore pourquoi la douleur chronique m’a choisie, mais l’important est de savoir comment vivre avec elle.

 » Sommes-nous les héros de notre propre vie ? »

Je ne sais pas, mais se voir en héros de sa propre histoire nous permet de nous construire. Sinon, on manquerait de narcissisme pour continuer à vivre avec soi-même. On se donne le beau rôle, sous la lumière des projecteurs, mais il faut aussi accepter sa part d’ombre. Au début, j’affronte mes tremblements comme un combat contre une force aliénée. En les incluant à mon être, je les vis mieux. Chez moi, la vie continue malgré l’imprévisible. A la mort de mon père, je me suis convaincue qu’il avait vécu sa vie, or on ne ferme jamais les portes d’une telle perte ou d’une joie, comme la maternité. On préfère se voir fort et entier. Admettre ma vulnérabilité ne m’a pas affaiblie, mais enrichie !

La Femme qui tremble Une histoire de mes nerfs, par Siri Hustvedt, éd. Actes Sud, 249 p.

KERENN ELKAÚM

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