Parfois réfugiés dans des abris, les employés de la tech ukrainienne continuent de développer leur ingéniosité pour soutenir l’effort de guerre. © getty images

Comment le secteur de la tech ukrainienne aide à l’effort de guerre

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Le secteur de la tech ukrainienne s’est adapté aux conditions de guerre. Mieux, il a développé ses activités pour aider les militaires sur le front et soutenir les civils dans la vie quotidienne.

De notre envoyé spécial à Lisbonne

C’est au cœur des pavillons de l’exposition universelle de Lisbonne de 1998 que près de septante entrepreneurs de la tech ukrainienne se sont donné rendez-vous en novembre à l’occasion du Web Summit. Moyenne d’âge: moins de 30 ans.

Le secteur ukrainien des technologies de l’information (TI) compte 300 000 employés et 5 000 entreprises. Selon la Banque nationale d’Ukraine, «le volume des exportations de services informatiques pour le premier semestre 2022 a atteint 3,74 milliards de dollars, soit une croissance de 23% par rapport à 2021. Les start-up et les entreprises de la tech ukrainienne ont réussi à lever 350 millions de dollars de fonds» lors des six premiers mois de 2022.

Vice-Premier ministre et ministre de la Transformation numérique, Mykhailo Fedorov souligne que «la tech d’aujourd’hui supporte notre économie et notre champ de bataille». Lors d’une conférence, il a exhibé un drone de reconnaissance Minion. Les forces armées de Kiev ont opté pour le tout technologique afin d’appuyer leurs militaires avec des drones et l’intelligence artificielle. Avec succès mais non sans sacrifice, car si l’immense majorité des firmes ukrainiennes ont choisi de ne pas délocaliser leurs activités à l’étranger à la suite de l’invasion russe, la plupart ont dû les transférer des zones touchées par les combats vers des zones plus sûres.

Course sélective vers les abris

«En moins de deux semaines, nous avons délocalisé 2 800 employés et leurs familles vers l’ouest du pays, notamment à Lviv, confie Denys Smirnov, porte-parole de Sigma Software Group, une entreprise basée à Kharkiv. Il a fallu mettre en place des cellules de soutien psychologique pour aider des collaborateurs qui étaient très affectés par la guerre, mais aussi pour les enfants. Certaines familles ont perdu leur maison.» Pour soutenir l’économie de leur pays, les employés de la tech ukrainienne ont surtout participé à l’effort de guerre derrière leur écran. Un choix judicieux. Seuls «une cinquantaine d’hommes de Sigma Software ont été enrôlés dans les forces armées ukrainiennes ou se sont portés volontaires. L’ entreprise paie l’entièreté des salaires pendant qu’ils défendent le pays», confie Denys Smirnov.

C’est en me rendant sur le front que j’ai compris à quel point la tech était importante dans ce conflit. Un commandant m’a demandé des imprimantes 3D.

Le PDG de la compagnie informatique Parimatch Tech, Maksym Liashko, confesse pour sa part que lui et ses employés ne croyaient pas à la possibilité de cette guerre. «Au début, nos entreprises se sont arrêtées de fonctionner. Nous n’étions pas préparés. Nous allions tous aux abris. Avec le temps, nous avons appris à détecter le son et la direction des missiles. On reconnaît le danger juste au son et, selon sa nature, on va ou non dans les bunkers.» Travailler dans des abris est devenu normal.

Cyberattaques et armée de drones

Denys Smirnov précise: «En revanche, nous étions préparés pour les cyberattaques. La guerre cyber avait commencé en 2014. En décembre-janvier 2022, nous avons fait face à un nombre considérable de cyberattaques, mais les hackers ukrainiens sont aussi bons que les Russes.» Et le jeune homme de sortir immédiatement son smartphone et de cliquer sur une application, Army of Drones. «Voici notre passeport numérique. Nous y mettons toutes nos données sensibles, documents d’identité. Et nous sommes protégés», assure-t-il.

Army of Drones fait aussi référence à un système de surveillance et d’attaque avec des petits drones civils. Les Ukrainiens font ainsi voler des centaines de drones pour surveiller leurs 2 470 kilomètres de frontières. Ce projet a pu voir le jour grâce à du financement participatif appelant les citoyens du monde à leur envoyer de petits drones dans des points de dépôt situés en Pologne ou aux Etats-unis. Outre la fonction de surveillance, ces drones peuvent être équipés de grenades, voler jusqu’à cinquante kilomètres derrière les lignes ennemies, pendant 24 heures, jusqu’à 5 000 mètres d’altitude et transmettre des données en temps réel sur les déplacements de l’ennemi. Surtout, ils sont difficiles à abattre et ont une incidence sur le moral des troupes russes.

Iryna Lorens, cofondatrice d’une entreprise spécialisée dans le paiement par cryptomonnaies à Kiev, Weld Money, a, elle, indiqué comment la blockchain a sauvé des vies en Ukraine en se substituant aux banques. Alors que les cryptomonnaies ont permis d’effectuer des virements immédiats dès le début du conflit, «les établissements bancaires traditionnels avaient souvent besoin de deux semaines pour effectuer des transferts», note-t-elle.

Futur produit d’exportation

«L’infrastructure numérique a prouvé sa résilience lors de cette invasion, a déclaré le ministre de la Transformation numérique, Mykhailo Fedorov, vêtu de son tee-shirt noir aux couleurs de l’Ukraine. Notre équipe a une grande vision pour faire de l’expertise en matière de technologie militaire et de solutions de sécurité la première exportation de l’Ukraine. Nous avons tout ce qu’il faut: des personnes talentueuses et éduquées, un écosystème de start-up en pleine croissance, une expérience unique en temps de guerre et probablement la chose la plus importante, le courage de se battre pour notre avenir

Dans cette guerre moderne d’un nouveau genre, les Ukrainiens ont donné une leçon aux états-majors des armées traditionnelles par leur formidable capacité à intégrer les nouvelles technologies, parfois peu coûteuses, pour gagner sur le champ de bataille avec une grande créativité. Et Mykhailo Fedorov de conter cette anecdote: «C’est en me rendant sur le front que j’ai compris à quel point la tech était importante dans ce conflit. J’ai demandé à un commandant ce dont il aurait besoin. Il m’a répondu qu’il voulait des imprimantes 3D pour concevoir des pièces détachées de drones.»

La tech pourrait bien être la planche de salut de l’Ukraine d’après-guerre, tant le pays a su développer une expertise pratique.

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