Tout sur ma mère

Racontée par sa fille, l’étonnante vie d’Else Kirschner, femme libre dans le Berlin des années 1930. Qu’elle devra quitter pour fuir le nazisme

Tu n’es pas une mère comme les autres, par Angelika Schrobsdorff. Trad. de l’allemand par Corinna Gepner. Phébus, 492 p.

Il est des femmes que l’on aurait aimé rencontrer, écouter, admirer. Des femmes comme Else Schrobsdorff, syncrétisme de tout ce qu’une certaine Europe d’un moment particulier du xxe siècle a pu offrir de meilleur : l’amour des arts et de la littérature, la jouissance de la vie, la passion de la liberté. C’est sa fille, Angelika, une fille pas comme les autres elle non plus, qui nous livre, avec honnêteté, le portrait de ce petit bout de femme flamboyant.

Publié en Allemagne en 1992, Tu n’es pas une mère comme les autres, 500 pages serrées, nous arrive enfin, déployant, dans une traduction impeccable, les heurs et malheurs du Berlin des gens d’esprit. 30 juin 1893-5 juin 1949 : entre ces deux dates, Else Kirschner aura multiplié les galants et les amants, enfanté trois fois de trois pères différents, embrassé la religion chrétienne, participé plus que de mesure aux Années folles et subi la folie nazie. Nul ne saura jamais ce qui poussa cette jeune fille juive de bonne famille à mener cette vie  » tarabiscotée « , pour reprendre un des mots préférés de sa mère, Minna.

Elevée avec force cours de piano, de violon et de français, Else se voit promise à Alfred, un bon parti, confectionneur comme son père. Mais, attirée par  » le monde de la liberté et des chrétiens « , elle jette son dévolu sur Fritz Schwiefert, un poète aux longs cheveux bruns, spirituel, cultivé et sans argent. Février 1916 : elle s’échappe de la maison familiale pour rejoindre son artiste, donne naissance à un petit Peter, se réconcilie avec sa famille, organise ses premières fêtes.

Bientôt, plus que les atrocités de la Première Guerre mondiale, ce sont les infidélités de son mari qui la laissent groggy. Pas pour longtemps. La voilà dans les bras de Hans Huber, le fils du ministre bavarois de l’Agriculture, à qui elle propose, tout bonnement, la cohabitation à quatre. Durant quatre ans, Else, Hans, Fritz et Enie, sa baronne de maîtresse, vont transformer leur drôle de foyer en lieu de ralliement de tous les noceurs berlinois. Il faudra attendre, non pas l’enfant qu’Else aura de Hans, mais le bel Erich Schrobsdorff, riche fils de junker prussien, pour que le quatuor éclate en morceaux.

Après de longues années d’insouciance, Else, tout juste mère d’Angelika, se résout à l’évidence : les Allemands ne sont pas qu’un peuple de poètes et de penseurs. S’ensuivent, pour la singulière juive et ses descendants, l’exil en Bulgarie, le chaos, l’indigence et la maladie, vécue comme  » une sorte de châtiment mérité « . L’histoire d’amour entre Else et l’Allemagne est à jamais terminée. Plus tard, à son tour, Angelika s’expatriera, à Paris û où elle sera, un temps, mariée à Claude Lanzmann û puis à Jérusalem. Laissant derrière elle nombre de galantsà

M.P.

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