Les « fumettes » restent interdites aux mineurs mais les adultes, eux, ne seront plus poursuivis – ce qui ne change rien à la situation actuelle – s’ils respectent certaines conditions de discrétion et de mesure. Lesquelles conditions seront soupesées avant tout par les policiers et le parquet
Dépénaliser, pour les adultes non « problématiques », la détention de cannabis à usage privé, il en fut brièvement question, fin 2000, lors du dévoilement de la « note politique du gouvernement fédéral relative à la problématique de la drogue » rédigée par la ministre de la Santé publique Magda Aelvoet (Agalev). Cette intention n’a jamais dépassé le cercle des Verts et des socialistes, mais le raffut médiatique a convaincu – à tort- une partie de la populationque fumer un joint n’était plus punissable. « Il n’a pas fallu sept jours, se rappelle Antoine Boucher, d’Infor-Drogues, pour que nous soyons assaillis de demandes: Où puis-je acheter du chanvre? Je voudrais ouvrir un magasin, comment m’y prendre? « Les jeunes, en particulier, ne comprennent pas l’écart entre l’annonce tonitruante d’un projet et sa concrétisation législative, parfois très éloignée du propos de départ. De fait, deux ans après cette vraie-fausse annonce, la consommation du cannabis s’est affichée et banalisée. Elle représente encore une forte proportion des faits de stupéfiants enregistrés au parquet de Bruxelles, mais ils sont massivement classés sans suite. Le cannabis ne fait plus peur.
Comment le gouvernement allait-il faire la synthèse entre les aspirations de son aile gauche et la position plus répressive des libéraux? Sur le symbole, d’abord, le gouvernement cède du terrain en proposant la « contraventionnalisation » de la détention de cannabis: une dépénalisation pure et simple lui aurait valu les foudres des gardiens des conventions internationales. Le tribunal correctionnel reste compétents pour ces « contraventions » qui, dans le meilleur des cas, coûteront au contrevenant une amende de 1 à 25 euros et, au pire, lui vaudront une peine d’emprisonnement.
La majorité pénale pour téter son pétard sans dommage est fixée à 18 ans (alors qu’à 16 ans les jeunes peuvent déjà consommer de l’alcool, ne parlons pas de la cigarette). Pour rester dans leur bienheureux anonymat, les adultes doivent continuer à ne pas présenter le profil d’un « consommateur problématique », ne pas être à l’origine d’une « nuisance publique » et s’abstenir de fumer en présence de mineurs. Les policiers resteront donc les premiers « juges » de ces faits, comme ils l’étaient déjà sous l’empire de la « circulaire De Clerck-Van Parys » (1998); celle-ci recommandait d’accorder « la plus basse des prioritésà la poursuite des consommateurs adultes de drogues douces », nonobstant ces réserves. Celles-ci restent, encore et toujours, enveloppées d’un certain flou dans le projet de loi, l’arrêté royal et la directive à l’usage des parquets et des polices préparés par Jef Tavernier, ministre de la Santé publique (Agalev). Même la non-consommation en présence de mineur peut faire l’objet d’interprétations divergentes: dans quelle pièce doit se trouver l’adulte quand il consomme à la maison? Peut-il être poursuivi s’il fume de la marijuana dans un festival de rock en présence de mineurs? La question n’est pas simple, surtout lorsqu’on sait que le projet de loi envisage d’autoriser la police à pénétrer dans des lieux privés ou publics pour vérifier cette non-consommation de cannabis en présence de mineurs. La quantité tolérée pour un usage personnel n’est pas précisée, pas plus que le nombre de plants qu’un individu est autorisé à cultiver pour sa consommation personnelle. « Ne pas fixer de quantité minimale de détention de cannabis ouvre la porte à l’arbitraire le plus total, regrette Philippe Bastin, directeur d’Infor-Drogues. Cela va créer inutilement des problèmes à tout le monde: policiers, usagers, parents et éducateurs, qui devront transmettre des consignes tarabiscotées aux jeunes. »
Présentée formellement dans l’orbite de la Santé publique -ce qui est déjà un progrès par rapport à une politique purement répressive, abandonnée depuis longtemps au profit de la politique dite de « réduction des risques » – , la gestion des drogues douces reste reliée au pouvoir judiciaire par un robuste cordon ombilical. Dans le nouveau projet de loi dont le parcours parlementaire vient de commencer, il prend les traits d’un « case manager judiciaire », installé auprès de chaque parquet, et dont le rôle sera de servir de relais entre les instances judiciaires, le réseau d’assistance et le secteur social. Les professionnels craignent une ingérence du « case manager judiciaire » dans l’orientation thérapeutique des justiciables. Le secteur psychosocial aura bien du mal à défendre l’autonomie de son champ d’action, dès lors que des budgets en dépendront. Or le problème des drogues douces (comme des autres drogues, légales ou illégales) est théoriquement envisagé par le gouvernement Verhofstadt dans une optique de soins de santé, en particulier, de santé mentale. Où est la logique? La logique, elle est un peu beaucoup électorale. Dès le début, il était clair que les ailes gauche et droite du gouvernement ne s’accorderaient qu’avec difficulté sur un thème aussi sensible. Il y a simultanément, dans son attitude, une dédramatisation du « phénomène cannabis » et une accumulation de mesures et d’instruments de mesure qui traduisent une méfiance profonde à l’égard de celui-ci. A suivre sur le terrain policier, véritable arbitre du débat.
Marie-Cécile Royen