Terrains et lotissements non bâtis dans le collimateur des communes

Pour lutter contre la spéculation immobilière et encourager la construction comme l’arrivée de nouveaux habitants, plusieurs communes du Tournaisis usent de l’outil fiscal. Explications.

On ne peut pas dire que le marché des terrains à bâtir soit sous pression dans le Tournaisis. Le notaire Anthony Pirard, dont l’étude est située à Beloeil, avance, pour le caractériser, le terme de  » tempéré « , tout en prenant appui sur des prix relativement abordables à l’échelle hennuyère : de l’ordre de 80 euros le mètre carré en moyenne (ils varient à la hausse et à la baisse selon que l’on s’approche ou que l’on s’éloigne de Tournai). Tandis que Caroline Detournay, de l’agence Carré Immobilier, établie dans le coeur de la cité aux cinq clochers, pointe un stock de futurs lots prometteur.  » Pas tant dans les zones fortement urbanisées comme Tournai ou Kain, bien sûr, mais plutôt dans les campagnes environnantes, précise-t-elle. On y rencontre notamment pas mal de terrains agricoles qui, par règle de proximité, sont susceptibles de devenir bâtissables.  » Et d’ajouter que, dans ce cas, les 50 premiers mètres de profondeur sont bien souvent transformés en zone d’habitat, le reste étant maintenu en zone agricole.

Pourtant, et très étonnamment au vu de l’offre potentielle, les vendeurs de terrains sont loin de se pousser au portillon des agences…  » Nous avons très peu de biens en portefeuille, assure Caroline Detournay. Et quand on en rentre, ils sont pris d’assaut.  » Car la demande, elle, est au rendez-vous.

Stimuler la mise en vente

Le phénomène n’a pas manqué d’échapper aux autorités des communes où se concentrent les terrains disponibles.  » Beaucoup de propriétaires ont décidé, ces dernières années, de conserver leur bien en espérant que sa valeur augmente avec le temps « , explique Roger Vanderstraeten, bourgmestre de Bernissart.  » Comme leur épargne ne leur rapportait plus rien, ils ont fait le choix de thésauriser leurs propriétés immobilières. C’est particulièrement vrai dans les entités de Blaton, Pommeroeul ou encore Harchies « , poursuit-il. Un attentisme marqué qui a poussé le collège communal de Bernissart à prendre des mesures.  » Dans la plupart des cas, les terrains à bâtir inoccupés s’inscrivent dans le prolongement de la maison de leur propriétaire, ou légèrement en retrait. Ils ne sont pas identifiables de prime abord, pointe l’élu. Nous avons donc procédé à un recensement de ce type de biens sur le territoire de la commune et, au vu de la manne de lots répertoriés, nous avons cherché à… stimuler leurs propriétaires à les mettre sur le marché.  »

Une  » stimulation  » qui s’est traduite par une augmentation de l’impôt prélevé sur les terrains non bâtis.  » Cette taxe est en vigueur depuis 1989, mais elle était jusque-là plafonnée à 5 euros le mètre courant de terrain à front de voirie, avec un maximum de 125 à 250 euros par terrain non bâti et par an en fonction de sa superficie, détaille Véronique Bilouet, directrice du service Taxes de la commune. Depuis 2014, l’impôt est passé à 30 euros le mètre courant à front de voirie, pour un montant maximal de 800 euros par lot.  » Bien sûr, certaines exonérations sont de mise, au bénéfice, entre autres, de ceux qui ne sont propriétaires que d’un seul terrain non bâti, voire dans le cas où celui-ci est utilisé à des fins agricoles ou horticoles.

Néanmoins, le résultat ne s’est pas fait attendre. D’après le notaire Anthony Pirard, en 2015, Bernissart – comme d’autres communes du Tournaisis rencontrant les mêmes problèmes et ayant adopté la même stratégie – a été en proie à une forte recrudescence des mises en vente de terrains sur son territoire.  » Toutefois, je ne parlerais pas de hausse des ventes effectives car le phénomène est très récent. Ce qui s’observe sur le marché se prolongera dans un second temps seulement dans les études notariales « , nuance-t-il.

Les lotissements n’y échappent pas

Les particuliers ne sont pas les seuls à être visés par la nouvelle politique fiscale de Bernissart : les promoteurs et autres lotisseurs en pâtissent aussi, quoique dans une moindre mesure. En effet, partant des mêmes tarifs de base, l’impôt sur les parcelles non bâties faisant partie d’un lotissement a été relevé à 15 euros le mètre courant de terrain à front de voirie, avec un maximum de 440 euros par lot. Subtilité : cette taxe est imputée tant au lotisseur qui cède les parcelles (elle frappe alors les parcelles invendues) qu’à l’acquéreur qui tarde à démarrer la construction de sa future habitation.  » Il y a, par exemple, dans le centre de Blaton, un vaste terrain à lotir où l’on pourrait construire 30 à 40 maisons, mais le propriétaire préfère ne pas se défaire son bien, déplore Roger Vanderstraeten. Or, nous avons besoin d’un renouveau de l’habitat à Bernissart et, surtout, de l’arrivée de nouveaux habitants.  »

Si, parmi les particuliers détenant un terrain à bâtir, les réclamations ont inondé les services communaux de Bernissart, du côté des lotisseurs, la nouvelle du rehaussement de la taxe sur les parcelles est accueillie avec plus de… sérénité.  » Cet impôt est assez répandu en Belgique, observe Sébastien Ladouce, manager prospection et développement auprès de Thomas&Piron Home. Il est d’abord apparu dans le Brabant wallon, avant de se propager au reste du pays. Et ce, sous couvert de lutter contre la spéculation immobilière. Mais, étant donné le court laps de temps qui précède son application (NDLR : la taxe est due à partir du 1er janvier de la deuxième année qui suit celle de la délivrance du permis de lotir) et la longueur des procédures, il s’agit surtout d’alimenter les rentrées financières des communes.  » Sans compter, glisse-t-il, que  » ce ne sont pas quelques centaines d’euros qui vont faire capoter un projet de lotissement « . Est-ce cependant suffisant pour constituer un frein dans le cas d’un projet non encore abouti ?  » Non, nous sommes relativement souvent confrontés à cette situation et nous incluons l’impôt sur les parcelles non bâties comme un coût parmi d’autres dans le développement de notre projet « , conclut-il, en soulignant :  » De toute façon, notre but n’est pas de garder les terrains en notre possession mais de les revendre le plus rapidement possible.  »

Des petits prix en perspective

Avec ceci que l’afflux de mise en vente de terrains en vue d’échapper à la taxe n’est pas sans conséquence sur leur valeur.  » Sans oublier qu’ils seront encore nombreux à alimenter le marché en 2016, ce qui participera probablement à en diminuer le prix de manière significative « , pronostique le notaire Anthony Pirard. Au final, analyse pour sa part Caroline Detournay, ce sont donc les promoteurs qui vont bénéficier de cette nouvelle politique fiscale de Bernissart et consoeurs, au détriment des particuliers.  » La complexification du marché de la construction, nourrie par une profusion de normes énergétiques et urbanistiques, profite aux lotisseurs et aux constructeurs de biens clé sur porte car les particuliers osent de moins en moins se lancer dans cette aventure.  » Seul obstacle résiduel : le prix de vente, qui se doit de  » rester sous la barre des 185 000 à 190 000 euros pour ne pas dépasser les 250 000 euros une fois la TVA appliquée « . Un objectif plus aisé à atteindre si le prix du foncier dégringole…

Par Frédérique Masquelier

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