Surfer au travail : pas sans risques

Surfer sur Facebook, Twitter ou YouTube au bureau peut augmenter la productivité de 9 %. Pourtant, certaines entreprises bloquent l’accès à ces sites, bêtes noires des employeurs. Malgré des règles très floues.

Il m’arrive de passer du temps sur Facebook au bureau « , témoigne un salarié dans une entreprise. Ce n’est pas une exception. Plutôt qu’une pause café, de plus en plus de salariés s’octroient des pauses Internet entre deux dossiers. Un petit tour sur sa messagerie perso, un achat sur un site de vente par correspondance, une excursion pour choisir sa prochaine destination de vacances, la réservation du vol et des hôtels… Pour certains, ces diversions sont anodines, pour d’autres, l’usage abusif devient la norme.

Perte de productivité, risques de virus et de divulgation de données confidentielles de l’entreprise, pour toutes ces raisons, certains employeurs décident de contrôler les activités en ligne de leurs salariés. Selon une récente enquête réalisée par la revue spécialisée Smart Business Strategies auprès de 250 employeurs des secteurs privé et public, 4 entreprises belges sur 10 bloquent l’accès à Facebook, bête noire des employeurs. Environ sept employeurs sur dix laissent l’accès à Internet au bureau. En Belgique, ce sont surtout les grandes organisations publiques et les entreprises des secteurs bancaire et de l’assurance qui fixent des règles strictes pour l’utilisation d’Internet pendant les heures de travail. Elles bloquent l’accès à certains sites. C’est ainsi que le bancassureur KBC et Belgacom ont interdit l’accès à Facebook à leurs employés. L’enquête démontre également que des institutions publiques plus petites et des PME interviennent également. Pour la première fois en 2008, environ 5 % des entreprises et institutions publiques ont mis des limites à l’utilisation d’Internet pendant les heures de travail. Une pratique en augmentation. Par rapport à la précédente enquête, un an auparavant, les employeurs sont de plus en plus soucieux de la productivité de leur personnel. Après la sécurité, éviter les pertes de temps est la deuxième raison évoquée pour justifier le blocage à l’accès à Internet, notamment aux jeux online et à Facebook.

Big Brother, le retour ?

 » On se trouve devant deux intérêts opposés, explique Paul Crahay, avocat au barreau de Liège, professeur de droit social à HEC-ULg. L’employeur désire évidemment que l’employé exécute son travail le mieux possible et utilise l’ordinateur dans l’intérêt exclusif de l’entreprise. Il veut contrôler le temps de travail et des outils professionnels. Le travailleur entend qu’on ne porte pas atteinte à sa vie privée et estime inévitable de pouvoir, occasionnellement, consulter des sites Internet et ses e-mails privés. La Constitution belge, dans son article 22, reprend le principe du respect de la vie privée inscrit dans la Convention des droits de l’homme. Une convention collective de travail relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communication électroniques en réseau a été conclue en 2002. La jurisprudence offre des solutions pas totalement convergentes. Si l’employeur veut interdire ou limiter l’utilisation de l’ordinateur à des fins non professionnelles, il doit veiller à ce que cette interdiction ou limitation figure soit dans le contrat de travail, soit le plus souvent dans le règlement de travail. Réglementer ainsi l’accès à Internet est en principe licite. Je pense que cette interdiction est probablement plus acceptable aujourd’hui qu’il y a quelques années du fait que de plus en plus d’employés disposent d’ordinateurs personnels et de connexions Internet à leur domicile. Cela ne donne pas pour autant à l’employeur un pouvoir de contrôle illimité sur la consultation de sites Internet ou les courriels de l’employé. Les règles de protection de la vie privée, en particulier les règles de la convention collective de travail n° 81 ont été établies pour éviter la surveillance constante des employés, éviter le Big Brother is watching you.  »

A la carte

 » Quand j’arrive au bureau, je vois souvent ma secrétaire en train de surfer sur Facebook, se plaint un patron de PME. Elle dépense mon argent et ces réseaux sociaux n’apportent rien à mon entreprise. Je veux un personnel plus productif, recentré sur l’essentiel.  » Pour avoir une idée de ce qui se passe sur le réseau informatique de son entreprise et jusqu’où vont les abus, ce patron s’adresse à une société comme IT Brain, spécialisée dans la sécurité informatique. « 

 » Nos clients nous demandent de plus en plus souvent des solutions pour limiter l’accès à Internet, détaille Olivier Breuer, administrateur-gérant. Nous installons un boîtier spécifique, totalement transparent, sur l’infrastructure de l’entreprise. Il va nous renseigner, d’une manière globale, sur la quantité de trafic vers Facebook, YouTube et d’autres réseaux. Nous évaluons le nombre moyen d’heures. Le but n’est pas de sanctionner, mais de sécuriser. Le téléchargement de contenus douteux peut détériorer le réseau de l’entreprise. Nous discutons ensuite avec les employés, ou les syndicats dans les grandes entreprises, pour cadrer le recours à Internet. Puis nous fixons des moments d’utilisation. C’est le secret de notre solution. Nous identifions, de manière transparente, chaque usager. L’objectif n’est pas de dénoncer, mais de voir sur quels sites il va, à quels réseaux sociaux il appartient. Qu’un directeur des ressources humaines aille sur Linkedin, c’est logique. Des chasseurs de têtes utilisent Facebook de manière professionnelle pour en savoir plus sur les candidats à proposer. Mais cela ne l’est pas forcément pour un employé du service comptabilité. Les patrons décident à la carte quelles personnes ont droit d’aller sur tels sites à tels moments et lesquelles n’y ont pas droit. Par exemple, jusqu’à 9 heures, le salarié a le droit de surfer à sa guise, d’aller sur Facebook, sur MSN, de lire ses e-mails, d’utiliser ses applications. A partir de 9 heures, seuls certains groupes ont encore accès à certains sites comme des sites bancaires, utilisés par l’entreprise pour se tenir au courant vis-à-vis de ses concurrents ou gérer son travail. Dès 11 h 30, la liberté peut être redonnée aux utilisateurs jusqu’à midi ou 13 heures, par exemple. Ensuite, c’est reparti sur des sites plus recentrés sur le travail. Si, vers 17 heures, les employés décident de rester une demi-heure de plus au bureau pour lire leurs e-mails, ils ont à nouveau la liberté d’aller sur Facebook, Twitter ou YouTube. « 

Surfer augmenterait la productivité

Pourtant, surfer sur Facebook ou YouTube pendant les heures de travail augmenterait la productivité de 9 % ! C’est ce que démontre une étude menée à l’université de Melbourne. Les raisons ? Surfer sur Internet pour son propre loisir permet de s’échapper un moment de son travail pour mieux y revenir avec davantage de concentration. Selon le Pr Brent Coker, responsable de l’étude au département Management et Marketing de l’université australienne, l’attrait provient du besoin qu’éprouvent les gens à se déconnecter durant leurs heures de travail. Le même mécanisme s’observe sur les bancs de l’école, où la concentration des élèves baisse après une durée d’environ vingt minutes. Bien sûr, ces escapades sur Internet doivent rester limitées dans le temps. Elles ne doivent pas dépasser 20 % de la durée totale passée au travail. Le Pr Coker met ainsi en doute l’efficacité des sommes colossales investies par les entreprises en infrastructures bloquant l’accès des employés à des sites de socialisation ou de diffusion de vidéos. Le professeur souligne toutefois que les incursions doivent être courtes et effectuées avec modération. En Australie, environ 14 % des personnes surfant sur le Net montrent des signes d’addiction. Elles prennent ce type de pauses à des périodes inappropriées, restent longtemps en ligne et peuvent même devenir irritables si elles sont interrompues. Pour ce groupe, relève le professeur, les courtes pauses ne sont pas recommandées. Menée auprès de 300 employés, l’étude montre que 70 % des personnes surfant sur Internet durant les heures de travail le font notamment pour des raisons de loisirs. Informations sur des produits, lecture de sites d’informations, jeux et YouTube sont au top des pauses Internet au boulot.

JACQUELINE REMITS

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