Sultana, mère spoliée

Ses enfants lui sont revenus du Maroc par la seule volonté du père kidnappeur : déjà grands, à peine scolarisés, les deux filles voilées, l’une déjà mariée et mère à 16 ans. Une expérience amère.

Sa petite tête blonde est bien connue des médias. Depuis l’enlèvement de ses trois enfants par leur père, l’imam Saghir, en 1995, Sultana Kouhmane (40 ans) incarne la mauvaise conscience des institutions face aux rapts parentaux. De quoi se plaint-elle, dira-t-on, elle les a récupérés ? Mahdi et Soumaya en 2003, Sadija en 2008. Mais avec force tromperies de l’ex-mari, lâcheté marocaine, impuissance belge et, au final, moins par respect de ses sentiments maternels que parce que l’  » herbe est plus verte en Belgique « . Dans un livre coécrit avec le sénateur Jean-Paul Procureur (CDH), la jeune femme, née d’un couple mixte belgo-marocain, raconte l’enfer de sa vie avec Mohammed Saghir, un conseiller culturel à la Grande Mosquée de Bruxelles, dont le charisme, dans les années 1980, égalait celui de Tariq Ramadan. Une tranche de vie douloureuse, accompagnée d’une postface très utile, reprenant les recommandations et procédures à mettre en branle pour éviter que de tels drames se produisent ou pour en minimiser les effets (1).

Le Vif/L’Express : A l’âge de 16 ans, vous avez été mariée de force avec cet homme et avez subi son influence…

Sultana Kouhmane : Il avait beaucoup d’assurance, était beau parleur, avait trois licences, mais il était aussi très méfiant, parano. Il était entré en conflit avec le directeur de la mosquée du Cinquantenaire, assassiné en 1989. Ce dernier lui reprochait ses tendances chiites. Monsieur Saghir a été interrogé car il se trouvait sur les lieux le jour de l’assassinat, mais il n’a pas été inculpé. Il travaillait pour la Ligue mondiale islamique. C’était mon gourou. Tout le temps qu’a duré le séjour forcé au Maroc des trois enfants que j’ai eus avec lui, il a certainement bénéficié de protections. Comment peut-on imaginer que l’on puisse se cacher dans un pays où tout le monde est sous surveillance ? En réalité, il croyait qu’il allait me faire revenir à lui. Une mère, c’est comme une chatte, disait-il, elle n’abandonne pas ses chatons.

Une relation mère-enfants abîmée

Dans l’esprit de vos enfants, la mauvaise mère, c’est vous ?

Encore aujourd’hui, ils ne comprennent pas très bien. Les liens ne sont pas rompus, mais le seul avec lequel j’entretiens une relation régulière, c’est avec mon fils Mahdi. Parmi les 14 ou 15 enfants de Monsieur Saghir, qui est polygame, ils sont les enfants de l’  » Européenne « , avec qui ça s’est mal passé, et pour cause. On oublie que je suis pour moitié d’origine marocaine. Les autorités belges n’ont pas pris la mesure du fonctionnement de cet homme. Lorsqu’il a enlevé mes enfants au Maroc, il a laissé seuls à Bruxelles les trois enfants mineurs de son premier mariage. Il les contrôlait à distance, comme il l’a fait avec notre fille Soumaya, mariée à l’âge de 14 ans avec un jeune homme qui, plus tard, a pu pénétrer sur le territoire belge en servant d’escorte à Mahdi, et puis avec notre fille Sadija, qui a rencontré son mari  » par hasard  » dans le métro bruxellois, à l’âge de 18 ans.

En quoi votre expérience de présidente de l’Asbl Rapts parentaux pourrait-elle servir à d’autres ?

Au moins, à ne pas leur laisser d’illusions sur les institutions de notre pays, Child Focus compris, sauf à leur conseiller d’organiser très vite un contre-enlèvement. Quand les enfants sont binationaux, tous les pays réagissent de la même manière : ils privilégient leurs ressortissants. Actuellement, 70 % des rapts parentaux se déroulent entre pays européens, et l’on connaît des parents séparés de cinq kilomètres qui imposent ce genre de vie à leurs enfants… Lorsque les enfants reviennent auprès du parent dont ils ont été séparés, c’est très dur. Il faudrait qu’ils puissent être encadrés et, en quelque sorte, déconditionnés, comme cela se fait aux Etats-Unis.

(1) Mes enfants volés, de Sultana Kouhmane, avec Jean-Paul Procureur, éditions de l’Arbre.

ENTRETIEN : MARIE-CéCILE ROYEN

 » Organiser très vite un contre-enlèvement « 

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