Succombez aux plaisirs charnels !
On a beau être large d’esprit, cette version toute personnelle de la crucifixion a de quoi mettre en émoi. Cette madone – lubrique et sulfureuse – offre à Félicien Rops le moyen de ridiculiser la bataille de l’Eglise en faveur de l’abstinence. Un combat perdu d’avance.
Sur toutes les lèvres lors de sa présentation au Salon des XX (1884), cette vision libidineuse de La Tentation de saint Antoine est qualifiée tantôt de satire anti-cléricale, tantôt de provocation érotique. Pourtant, l’artiste s’en défend. À son ami François Taelemans, Rops confie : » Surtout éloigne de la tête des gens toute idée d’attaque à la religion ou d’éroticité. Une belle fille comme la mignonne que tu connais, peut être portraicturée (sic) sans aucune idée de lubricité. Quant à la religion, elle n’est point attaquée. » Pas plus que de coutume. Cet épisode est un récit biblique que l’on retrouve souvent dans la peinture des XVIe et XVIIe siècles. Il permettait d’aborder les problèmes sexuels dans la société. La femme y est décrite comme une séductrice à l’influence lamentable, détournant l’homme de ses aspirations spirituelles pour le ramener aux plaisirs charnels.
Mais le vrai scandale tient dans l’audace de la représentation : son interprétation est plus violente que toutes les autres, la nudité y apparaît plus intense. Une composition peut-être encouragée par sa lecture d’Alfred de Musset. Dans La Confession d’un enfant du siècle (1836), ce dernier écrit : » Les peintres qui ont représenté la tentation de saint Antoine ont oublié de lui faire subir une épreuve à laquelle il n’eût pas résisté. […] Je voudrais qu’un démon plus rusé que les autres, un démon féminin, eût la pensée de se changer en Christ et de s’insinuer dans la statue du Rédempteur. »
Comme on connaît ses seins…
Voulant se recueillir aux pieds du Christ, saint Antoine est surpris dans sa lecture. Choqué, tourmenté, il subit cette vision avec effroi et se bouche les oreilles pour ne pas entendre de voix. Le pauvre homme lutte par tous les moyens : il a même ouvert son livre à la page De continentia Josephi, la continence (ou abstinence) de Joseph. Un diable déguisé en polichinelle est coupable de cette » blague « . Il s’est débarrassé de la figure du Christ pour la remplacer par une femme nue aux formes généreuses. Poignets ligotés, légèrement cambrée, elle adopte une position lascive qui ne laisse aucun doute : elle s’offre au moine qui peine à résister. Même la mention habituelle » INRI » (acronyme de l’expression latine signifiant » Jésus le Nazaréen, roi des Juifs « ) a été remplacée par une formule plus explicite : un » EROS » aguicheur. Souvent représenté aux côtés du saint, le cochon – symbole de luxure et de voracité – vient rappeler les instincts primaires et la bestialité qui sommeillent en chacun de nous.
Peut-être l’artiste va-t-il encore plus loin ? Le culte de saint Antoine est lié dès ses origines à la médecine. En outre, à l’époque, le lien entre la Femme et la Mort repose également sur un fait historique : après la guerre de 1870, les cas de syphilis pullulent. Le thème de la femme fatale – au sens premier du terme – se développe parallèlement à l’épidémie. La sexualité devient synonyme de mortalité. Deux notions que l’on préfère souvent refouler.
Dans notre numéro du 22 août : Étude de perspective : Tiananmen, 1995-2003, AI Weiwei.
Gwennaëlle Gribaumont
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