Stéphanie de Niamey

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Auteur de A cour ouvert, un premier album hors mode, la Belgo-Suisse Stéphanie Blanchoud a remporté la médaille d’or des Jeux de la francophonie, au Niger. Reportage

CD A c£ur ouvert chez Takie/Hysteria, Stéphanie Blanchoud est en tournée à partir de février et passe, entre autres, le 15 février au centre culturel d’Uccle. Infos :

www.stephanieblanchoud.com

De notre envoyé spécial à Niamey

Cela fait deux bonnes heures qu’ils s’affairent autour d’un piano droit trouvé dans le bureau d’un comptable voisin, ravi d’être délesté d’un tel meuble encombrant. Ils sont trois, quatre, maintenant six, à s’acharner sur les notes blessées du clavier borgne. Dans le pays  » le plus pauvre du monde « , selon un récent classement établi par le PNUD, un piano est moins utile qu’un poulet grillé. Néanmoins, aux urgences, l’équipe belgo-africaine tente une première : ramener l’instrument à la vie pour le concert de Stéphanie Blanchoud, le soir même dans ce centre culturel de 3 000 places en plein air. Aux 5es Jeux de la francophonie ( lire ci-contre), la chanson est, comme le conte ou le basket, une discipline, avec concours et médaille finale.

C’est samedi soir et le ciel orange tombe sur le centre de Niamey nimbé d’un brouillard de barbecues. Stéphanie Blanchoud, 24 ans, très droite dans son sarouel rouge et ses gestes mesurés, s’amuse de tout cela. Calée sur les gros fauteuils bruns des premiers rangs, canapés XXL pour personnalités , elle fait un peu african queen nordique. Elle est fascinée par cette première virée africaine en compagnie de sa garde rapprochée, les trois musiciens, le sonorisateur et le duo de tourneur/manager, tous dévoués à la cause blanchoudienne :  » Je prends ce voyage comme une chance, c’est la première fois que je viens sur ce continent et d’autres choses que ce piano malade prennent de l’importance. Toute cette vie autour, c’est vachement bien, vachement touchant.  » La veille, au soir, on l’a rencontrée une première fois au bord du Niger : autour de tournées de  » Conjoncture  » (la bière locale), la discussion mêle chanson de Belgique et cette Afrique si fière, si démunie, si décalée par rapport à notre luxe de libertés. Dans la pénombre, Stéphanie évoque une héroïne du Truffaut des années 1960 : cheveux courts retenus par un bandeau, belle diction, sourire persistant. Pour l’instant, aucun Jean-Pierre Léaud en vue : seulement des piroguiers qui guident leur embarcation sur le silence du fleuve, épaisse masse noire, comme pourvus d’un troisième £il infrarouge. Plus tard, Mademoiselle Blanchoud dira combien elle aime le cinéma, surtout Truffaut, Jules et Jim, La Peau douce. Des histoires un peu amères, racontées sous le sceau de la passion : on se croirait dans ses chansons.

Plaisirs démodés

On a découvert le charme de Stéphanie quelques semaines auparavant via A c£ur ouvert, premier album traversé par les ombres de Barbara, Marie-Paule Belle et une belle voix lézardant sur des textes cramés au soleil des relations amoureuses et sociétales ; et avec une pointe d’humour façon Linda Lemay de la vieille Europe (cf. Valentin). Drôle de rencontre musicale où le tutoiement s’incline parfois devant le  » vous  » distancié, où les Vacances entre amis s’amusent de la lecture inepte de Flaubert au bord de la piscine, où les bribes de néo-réalisme de Tout au fond du café évoquent l’existence de secrets mal gardés. Sous une paillote cocotte-minute, Stéphanie ne s’étonne guère que l’on questionne ses  » plaisirs démodés  » :  » Je me rends parfaitement compte du décalage avec ce qui sort maintenant, mais ce disque est aussi une première expérience en studio : il est le résultat d’une étape à la fois grisante et angoissante. Mon univers vient de la scène, en fait.  » Très vite, pourtant, on se rend mieux compte de la nature du décalage entre le disque et l’époque : ce n’est pas tant les musiques enjolivées de cordes ou d’interventions pointilleuses (le guitariste Kevin Mulligan ou le batteur Bruno Castellucci) qui donnent le ton, mais la véritable collusion physique entre Stéphanie et les textes qu’elle signe. La mélancolie de ses amours brouillées charrie une élégance tonique, à l’instar de ses déplacements physiques en scène, sorte de non-chorégraphie minérale. Pour cette diplômée du Conservatoire royal de Bruxelles (art dramatique et déclamation), tout geste révèle aussi un testament d’actrice. Et puis, il y a les inévitables fissures du réel. Celles qui donnent de l’âge. Et parfois, aussi, de bonnes chansons.

Maman

L’un des trois ou quatre morceaux de poids d’ A c£ur ouvert en est la plage titulaire, échographie d’un père qui part :  » J’aurais voulu t’coller/Contre la port’ d’entrée/Te dire  » franch’ment, papa « /Pas l’moment d’te barrer  » (…) Et depuis lors, tu vois/J’suis toujours en avance/Pour pas qu’on me plant’là/Avec mes espérances.  » Son père (suisse), photographe, prof d’équitation, quitte donc sa mère (belge) lorsque Stéphanie a 9 ans. Celle-ci décrit sa famille comme  » imaginative et ennuyeuse  » : quelques musiciens du côté de la mère, et les références obligées, Brel, Brassens, Aznavour, avec des incursions jusqu’à Goldman. Enfance en Brabant wallon, goût inné des histoires, consommation de styles musicaux mélangés. Et révélation de la chanson comme étant une  » véritable sensation physique, difficile à décrire « , lors de l’apprentissage de techniques de chant au Conservatoire. Avec, au cinéma comme en musique,  » le goût pour les textes « . Cela fait quelques mois maintenant que celui d’ A c£ur ouvert rode :  » Je n’avais rien dit à mon père… Je parle de mon vécu et il a été ému, voilà. Ma mère, elle, ne m’a fait aucune réflexion.  » Le silence sera peut-être plus difficile à garder lorsque Madame Blanchoud senior entendra un texte jusqu’ici inédit en disque, mais chanté à Niamey. Quelques bribes de phrase :  » Le refus du conflit (…) La peur de faire confiance (…) Comment tu as fait, maman, pour te relever à chaque fois ?  » ( Ressemblance).

 » J’écris rarement quand tout va bien, c’est plus facile d’écrire une chanson triste alors que je ne suis ni noire, ni pessimiste, même si j’aime les extrêmes… « , confie la chanteuse. Chez elle, chansons perso et fictions sont jetées dans un univers qui évoque un mélo du réel. Peu importe ce qui est vrai ou pas. Lorsqu’on voit enfin la jeune femme en scène, à la répétition de l’après-midi, on ne peut s’empêcher de lui dire qu’elle ne chante pas des chansons de son âge. Alors, soudain un peu sèche et ironique, elle lâche :  » C’est cela, pas de mon âge… « , et s’en retourne, les yeux grands ouverts dans le crépuscule qui mange Niamey, à ses chansons où l’amour finit parfois en citrouille.

Médaillée

Le centre culturel est maintenant garni d’élégantes femmes scarifiées, de jeunes gens endimanchés et de pontes francophones calés dans les fauteuils présidentiels. Seize pays concourent à la  » qualification  » qui mène à la finale prévue dans quatre jours. Stéphanie a droit à vingt – maigres – minutes de prestation, soit cinq titres : elle choisit d’y inclure deux inédits et d’ouvrir avec Comme un trésor, l’une de ses chansons fétiches sous forme de ballade country romantique. La phrase  » Serrez-moi contre vous/Offrez-moi des bijoux  » déclenche des applaudissements spontanés un peu désarçonnants. A peine si Stéphanie remarque qu’on évacue un drôle de type marchant en crabe vers le podium. Elle nage d’aise entre ses musiciens, Lucia Capobianco, pianiste italienne veloutée, Stany Mannaert, guitariste et accordéoniste concentré, et Vincent Noiret, bassiste volubile. L’absence de la violoncelliste Tzonka Dantcheva, retenue dans une tournée allemande, n’obstrue pas l’émotion qui comble les saillies des chansons. Stéphanie est radieuse et les bravos de fin, nourris. Le bruit qu’elle va gagner court déjà. Quatre jours plus tard, c’est fait, Miss Blanchoud est  » Médaille d’or  » de la chanson des Jeux de la francophonie. Une nouvelle championne de la chanson est née… Peut-être.

Philippe Cornet

Stéphanie Blanchoud : une nouvelle Barbara ou juste une jeune femme ambitieuse ?

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