Souveraineté limitée pour l’Irak
Les mois se suivent et ne se ressemblent pas. Mai avait été particulièrement néfaste pour le président Bush, déstabilisé par la révélation des mauvais traitements que l’armée américaine inflige à ses prisonniers irakiens. S’ajoutant aux pertes subies sur le terrain û plus de 800 soldats US sont déjà morts en Irak û et au chaos qui règne dans le pays, ces nouvelles déshonorantes en provenance des cachots avaient engendré des sondages alarmants, à cinq mois seulement de l’élection présidentielle.
Le mois de juin sera-t-il plus souriant pour l’hôte de la Maison-Blanche, qui brigue un second mandat le 2 novembre prochain ? La première décade est en tout cas de bon augure, puisque George Bush engrange à la fois le bénéfice d’un déplacement sans esclandre sur les plages du débarquement de Normandie et celui d’un sommet du » G8 » aux apparences consensuelles sur l’île de Sea Island, au large de la Géorgie. De ces deux événements, le président rapporte une moisson d’images plutôt positives. Les poignées de mains souriantes qu’il a échangées avec ses alter ego tendent, en tout cas, à infirmer l’idée, chère à son challenger démocrate John Kerry, selon laquelle l’Amérique se serait durablement mis à dos le reste du monde.
Cerise sur le gâteau : le Conseil de sécurité de l’ONU approuvait, mardi 8 juin et à l’unanimité de ses 15 membres, la résolution 1546, d’inspiration américano-britannique, qui fixe le cadre du transfert de souveraineté aux Irakiens, le 30 juin prochain. Il s’agit là d’un succès diplomatique non négligeable pour la coalition anglo-saxonne : alors qu’elle n’avait pu obtenir l’aval de la communauté internationale avant le déclenchement des hostilités, en 2003, elle reçoit aujourd’hui son appui pour tenter de trouver une issue honorable à la crise qu’elle a déclenchée.
Ce texte dont la version initiale a été fortement amendée, surtout à l’initiative de la France, prévoit la disparition, dès le 30 juin, de l’administration provisoire dirigée par l’Américain Paul Bremer et le transfert de la souveraineté sur l’Irak au nouveau gouvernement récemment composé autour du Premier ministre (chiite) Iyad Allaoui. Cette souveraineté s’étend à la maîtrise des ressources naturelles, notamment pétrolières, et à celle des forces de sécurité irakiennes. La résolution fixe également le calendrier électoral censé conduire le pays au terme de son processus de démocratisation, fin 2005. Mais il prévoit aussi le maintien, sous commandement américain, des forces d’occupation rebaptisées, pour la correction du langage, » Force multinationale » (FMN). Le mandat de la FMN ne serait cependant pas prolongé au-delà du 31 décembre 2005, sauf si le gouvernement de Bagdad demandait son maintien. Il est prévu que le gouvernement irakien et la FMN » coopèrent sur les questions de sécurité « , mais Bagdad ne pourra pas opposer son veto aux » opérations offensives sensibles » (sic) voulues par les forces d’occupation û pardon, par la Force multinationale.
Autant dire que la » pleine souveraineté » recouvrée par l’Irak sera… singulièrement limitée. Reste à savoir si les Irakiens se satisferont de ce mode de gouvernement, ou s’ils le considéreront d’entrée de jeu comme une administration fantoche, nouvel avatar d’une occupation étrangère détestée. Dans ce dernier cas, annonciateur d’un chaos grandissant, il faut redouter que plus rien ne puisse empêcher le pire des scénarios : le déclenchement d’une guerre civile incontrôlable, l’éclatement du pays, l’intervention de ses Etats voisins et une déstabilisation durable de tout le Moyen-Orient.
Depuis plus de deux ans, c’est-à-dire bien avant l’intervention américano-britannique, Le Vif/L’Express attire l’attention, sans relâche, sur les dangers auxquels une déstabilisation de l’Irak expose le monde. Aujourd’hui, le mal est fait, mais le pire peut encore être évité. On ne peut souhaiter qu’une chose : que la résolution 1546 du Conseil de sécurité de l’ONU offre à tous la possibilité de sortir honorablement d’une tragédie qui aurait pu être évitée. l
Jacques Gevers directeur de la Rédaction
L’ONU offre une petite chance de sortir d’une tragédie qu’elle aurait pu éviter
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