Sous les pavés, la rébellion

Les étudiants, les lycéens, les ouvriers et les hommes politiques : comment ils ont joué à contester, à revendiquer ou à avoir peur.

Ce vendredi 22 mars, à l’université de Nanterre, en banlieue parisienne, la tension est palpable. Deux jours plus tôt, un petit groupe de militants qui protestaient contre la guerre du Vietnam ont brisé la vitrine d’un bureau de l’American Express et ont été interpellés. Pour exiger leur libération, les étudiants décident d’investir un des lieux symboliques du pouvoir universitaire : la tour administrative. Le mouvement est notamment mené par un drôle d’énergumène, un rouquin vibrionnant de 22 ans, nommé Daniel Cohn-Bendit. Ils sont 142, exactement, à prendre le 8e étage d’assaut.

Ce petit nombre de  » gauchistes  » peut sembler dérisoire face aux 12 000 inscrits à Nanterre, en grande majorité, non politisés. Pourtant, quelques semaines plus tard, beaucoup vont s’engager et humer à pleins poumons l’air de la rébellion qui décoiffe le pays.

Les étudiants de 68 n’ont que peu de droits, hormis celui de se taire. Les relations humaines sont soumises à des règles rigides, étouffantes. Rien n’est à la mesure de la jeunesse de cette époque, pas prise au sérieux, éduquée mais pas écoutée, dégoûtée par la routine, prise dans le carcan des générations précédentes. La verticalité des rapports entre étudiants et enseignants paraît insupportable aux jeunes. Ils attendent plus d’horizontalité dans un autre domaine aussi : les relations hommes-femmes.

Le 22 mars a ouvert une brèche : les jours suivants, la mobilisation s’organise à Nanterre. Débats, chahut, création de journaux, professeurs bousculés… Le 2 mai, le doyen ferme l’université et convoque Cohn-Bendit en conseil de discipline. Dès lors, les événements s’enchaînent.

Le 3 mai, alors que 300 étudiants sont rassemblés dans la cour de la Sorbonne en solidarité avec leurs camarades, le recteur prend peur et appelle les forces de l’ordre à la rescousse. Des jeunes sont interpellés, d’autres s’en prennent aux cars de police, la population s’en mêle et pour la première fois la violence – grilles arrachées, coups de matraque à tout va- déferle sur le boulevard Saint-Michel. Le lendemain, tous les mouvements gauchistes se rassemblent et les lycéens rejoignent le mouvement. Mai 68 est lancé, avec ses manifestations et ses barricades qui fleurissent à partir de la nuit du 10. Le fameux  » La réforme, oui ; la chienlit, non « , lancé par le général de Gaulle le 14 mai n’y change rien.

Le 13 mai, les syndicats, pourtant très mitigés sur l’explosion étudiante, appellent à des manifestations nationales de solidarité contre la répression. L’usine de Sud-Aviation, près de Nantes, est la première à être occupée. Comme une vague qui enfle, la grève nationale s’installe : le 17 mai, les grévistes passent de 80 000 à 175 000. Ce nombre ne cesse d’enfler jusqu’au 30 mai, quand la France se réveille (presque) sans essence et sans téléphone, paralysée pour quinze longs jours. L’emploi et les rémunérations sont au centre de la grogne. Les 1,5 million de salariées réclament, elles, d’être payées autant que les hommes dont elles ne veulent plus dépendre, à l’usine comme dans la société civile.

Le 27 mai, après, deux jours de négociation, le gouvernement et les syndicats signent les accords de Grenelle, qui prévoient une augmentation du Smic de 37 %. Mais les ouvriers sont déçus et de dures négociations sectorielles se poursuivent avant les reprises progressives du travail, au courant du mois de juin.

Parallèlement, sur un plan politique, après sa  » disparition « , le 29 mai, le général de Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Le 30, l’immense manifestation de soutien au chef de l’Etat siffle le début de la fin du printemps. Début juillet, sur les murs de Paris, tous les slogans auront été effacés…

P.G., avec la rédaction de L’Express

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