Installés depuis cinq semaines dans l’église Saint-Boniface, à Ixelles, des sans-papiers exigent une régularisation massive. Ils ont créé une Union pour que leur combat serve aussi à d’autres
Quelques dizaines de matelas sur le sol, une cuisine pour manger et pour faire un minimum de toilette, des slogans écrits sur des draps, et deux bonbonnes de gaz, insuffisantes, pour chauffer l’église Saint-Boniface à Ixelles, occupée par des dizaines de sans-papiers depuis le 19 octobre. Ils sont de tous les âges et de toutes les nationalités, leurs dossiers sont différents (procédure d’asile, de regroupement familial, en recours devant le Conseil d’Etat) mais tous sont déterminés. Ils se sont organisés en un mouvement commun baptisé Udep (Union de défense des sans-papiers). Créée en 2004, cette association se consacre désormais exclusivement à cette occupation et plaide en faveur de toute personne étrangère en situation de séjour précaire qui ne dispose pas, plus, ou pas encore, du droit de séjourner sur le territoire belge. Ils sont des dizaines de milliers en Belgique (leur nombre est incertain), en quête de légalité pour s’épanouir pleinement.
Les nuits, plus de 70 personnes dorment à Saint-Boniface, dont une vingtaine d’enfants. Le jour, ce sont quelque 200 individus qui y organisent des permanences téléphoniques et des réunions. Une effervescence constante, mêlée aux bruits de la vie quotidienne qui s’est mise en place, résonne dans l’église.
Leurs revendications : une régularisation de tous les sans-papiers, le démantèlement des centres fermés (où les conditions de vie ont maintes fois été dénoncées), une politique européenne de migration dans le respect des conventions internationales et la possibilité de vivre dignement. Ce qui implique notamment le droit de travailler ou d’aller à l’école durant le traitement, parfois très long, des dossiers. Pour rappeler ses requêtes, l’Union de défense des sans-papiers a organisé le 19 novembre, à Bruxelles, une marche, partie de l’ambassade d’Espagne (300 participants selon l’Udep, 100 selon la police). Choix symbolique, pour évoquer les centaines d’immigrants subsahariens qui ont tenté d’atteindre les enclaves espagnoles du Maroc de Ceuta et Melilla en septembre. Selon Moise Essoh, chargé de communication de l’Udep, la Belgique progresse peu en matière de politique d’immigration, et ce malgré les condamnations par la Cour internationale des droits de l’homme et les recommandations des Nations unies suite au décès de Semira Adamu en 1998, lors d’une tentative d’expulsion musclée. Dans son rapport annuel de 2005, Amnesty International déclare que, cette année encore, » des étrangers auraient été victimes d’un usage excessif de la force et de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le cadre d’opérations d’éloignement « . Un exemple récent parmi d’autres : la rafle à Liège du 18 octobre qui s’est conclue par l’expulsion presque immédiate de trois personnes et l’enfermement d’une famille avec enfants au centre fermé 127 bis.
Avec l’aide de collectifs belges, l’Udep prépare des propositions en vue d’inspirer un projet de loi, qu’elle soumettra au ministre de l’intérieur Patrick Dewael (VLD). Il y est notamment question de rendre suspensif le recours en annulation devant le Conseil d’Etat des demandeurs d’asile déboutés. » Nous intervenons également auprès des autres ministères car tous sont concernés par notre cause. Le logement, les permis de travail (même provisoires), l’éducation de nos enfants, sont des difficultés au quotidien. C’est comme si nous n’avions aucun droit « , ajoute Mohammed Belhadj, occupant de l’église. Un dialogue a été ouvert, un soutien informel donné, mais aucune avancée n’a encore été réalisée.
Si, pour le moment, les occupants n’envisagent pas d’action extrême telle qu’une grève de la faim (considérée comme du chantage par Patrick Dewael), ils n’excluent pas ce type de recours si rien ne change. Moise Essoh indique que » les nombreux signaux de dissuasion pour décourager les sans-papiers n’ont rien arrangé. Il faudrait peut-être que le gouvernement belge leur envoie des signaux de respect et ce avant que la situation n’explose « .
Si le mouvement a pris forme et que l’Udep prévoit l’occupation d’églises dans d’autres régions, c’est à pas d’aveugle qu’il avance. Beaucoup de sans-papiers viennent des quatre coins du pays pour rejoindre Saint-Boniface, pensant que les participants seront régularisés et pas les autres. Il faut dire que les meneurs tiennent des discours pleins d’espoir. Pourtant leur combat s’annonce difficile.
Olivia Raskin