Sortilèges nippons

Caméra d’or à Cannes en 1997 avec Susaku, Naomi Kawase confirme son précieux talent avec Shara, film énigmatique et superbe prenant prétexte d’une disparition

Des siècles d’une riche histoire hantent encore les rues de Nara. L’ancienne capitale du Japon a beau sembler désormais somnolente, il glisse sous la surface de ses rues pentues des mouvements intrigants, qui ne doivent pas tous leur force à la sismicité d’une région exposée aux tremblements de terre. Naomi Kawase les connaît bien, elle qui a grandi là-bas avant d’aller suivre les cours de l’école de photographie d’Osaka, puis d’entamer un parcours dans l’expérimental, le documentaire et, enfin, la fiction avec l’admirable Susaku, Caméra d’or de la première £uvre au Festival de Cannes 1997. Sept ans, trois documentaires et un long-métrage inédit ( Hotaru, réalisé en 2000) plus tard, la jeune réalisatrice japonaise revient au premier plan avec Shara, un film aussi superbe que mystérieux et fidèle à l’approche poétique de son auteur.

C’est donc à Nara que vit la famille Aso. Elle s’emploie à perpétuer la tradition de la fabrication artisanale de l’encre de Chine, si déterminante dans les arts plastiques nippons. Kei et Shu sont les jumeaux de la nouvelle génération des Aso. Deux frères on ne peut plus liés qui vont être brutalement et tragiquement séparés lorsque Kei s’évapore tout à coup au détour d’une ruelle, en pleine fête du Dieu Jizo. Cinq années plus tard, Shun, désormais âgé de 17 ans, apprend la peinture et travaille au portrait de son frère disparu, de cet être si proche qu’il ne peut ni ne veut oublier. Son amie Yu tente bien de le ramener à une vie plus épanouïe, mais elle-même est marquée par un secret familial. Lorsqu’elle percera celui-ci, Shun apprendra également ce qui est advenu de son frère jumeau…

Formellement superbe et profondément émouvant, Shara est de ces films énigmatiques dont l’impact lancinant et les interrogations qu’il soulève se poursuivent bien au-delà du générique final. Naomi Kawase y déploie de manière fascinante les sortilèges d’un art aussi original que remarquablement attachant. Sa caméra suit les personnages de près, s’en éloigne, revient vers eux avec une rare liberté, une douceur aussi et une sorte de résonance profonde qui suscite une émotion d’autant plus belle qu’elle ne nous dit pas comment ni pourquoi elle nous saisit aussi intensément. Le Flagey sort en avant-première ce petit bijou de cinéma personnel et inclassable, qui circulera aussi dans plusieurs villes de Wallonie et de Flandre. Ceux qui aiment la culture japonaise y trouveront abondante matière à se passionner, Kawase donnant une importance particulière aux fêtes et rites qui scandent le passage des saisons. Les cinéphiles curieux de sensations nouvelles ne voudront pas non plus manquer une expérience à nulle autre comparable, ne livrant que difficilement ses secrets mais dont l’étrange beauté s’imprime discrètement en nous durant une heure et trente-neuf minutes.

L.D.

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