Solidarité francophone

Le secrétaire général de la francophonie, l’ex-président sénégalais Abdou Diouf, a eu la bonne idée de réunir à Paris, au début de mai, les représentants des 51 pays et gouvernements membres de l’organisation, non pour parler de la langue qui les unit, mais de l’économie, qui les divise.

De fait, aucune communauté humaine n’est aussi inégalitaire que la francophonie : ces nations produisent toutes ensemble, chaque année, avec 580 millions d’habitants (soit 9,8 % de la population mondiale, dont seulement 110 millions parlent effectivement le français comme première langue), 3 300 milliards d’euros de richesses, soit 10,2 % du PIB mondial. Mais 87,2 % du PIB de la communauté sont produits par les cinq entités les plus riches (France, Canada, Québec, Belgique et Suisse), avec seulement 19 % de la population. Et on trouve dans la francophonie toutes les formes d’inégalité poussées à l’extrême : le revenu moyen par habitant va de 1 à 10 000 euros ; l’espérance de vie varie de 49 à 82 ans ; l’accès à la formation et à la culture est tout aussi disparate. Et pour réduire ces injustices, les plus riches d’entre eux ne prêtent aux plus pauvres, ceux qui sont en Afrique, que moins de 0,1 % de leur PIB, n’augmentant que de 15 % le niveau de vie de ces pays, ce qui ne leur permettra jamais de sortir de la misère.

L’existence même de la francophonie est menacée par ces inégalités et par cette absence de réelle solidarité. Les riches francophones ne peuvent pas espérer que les autres pays de la communauté resteront durablement dans leur orbite s’ils n’y trouvent pas des moyens de se développer. En particulier, les élites de l’Afrique francophone iront chercher ailleurs un soutien, des relais et donc une culture et une langue. Elles rejoindront û elles rejoignent déjà û les universités des Etats-Unis ; elles se brancheront sur les réseaux de l’anglais pour la plupart, de l’espagnol pour quelques-uns. Si rien n’est entrepris pour enrayer cet exode, si, en particulier, la France reste sourde aux appels de ses voisins les plus proches, elle ne pourra plus, sans faire rire, dispenser pompeusement des leçons au monde sur la meilleure façon de gouverner la planète.

Pour changer cela, il faudrait lancer quelques projets forts. D’abord, les cinq pays riches de la francophonie devraient annuler les créances qu’ils détiennent sur les pays pauvres. Cela ne représenterait pour eux qu’un surcoût dérisoire, de l’ordre d’un dix-millième de leur PIB par an, mais cela représenterait pour les plus pauvres une aide équivalant à une augmentation annuelle de 10 % de leurs recettes d’exportation pendant quinze ans. Ils devraient ensuite décider de la création d’un instrument financier spécifique, chargé d’aider à rendre rentables les projets des industries de la culture et permettant de faire naître journaux, télévisions, maisons d’édition, projets informatiques en langue française. Avec cela, ils pourraient participer à l’invention d’un mode de développement plus solidaire, plus culturel, diamétralement opposé à l’individualisme matérialiste anglo-saxon. Le monde aurait tout à gagner à cette diversité.

Jacques Attali

Les cinq pays riches de la francophonie devraient annuler les créances qu’ils détiennent sur les pays pauvres

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