Simon, l’humanitaire

Ancien leader étudiant durant la Révolution de velours, Simon Panek se consacre à l’aide aux populations en détresse. L’ONG dont il est l’un des fondateurs est active dans une vingtaine de pays, mais aussi sur le sol tchèque

Le 15 mars, Simon Panek était derrière les barreaux, en tenue rayée de prisonnier. Comme lui, des dizaines de citoyens tchèques, issus de la société civile ou représentant des institutions, ont pris leur tour d’incarcération, durant quatre jours et trois nuits, dans une geôle symbolique, réplique d’une cellule cubaine, érigée place Venceslas, dans le centre de Prague. Chacun incarnait l’un des 75 opposants au régime castriste arrêtés il y a un an et lourdement condamnés. Cette initiative de L’homme en détresse, ONG dont Simon Panek est cofondateur, vaudra à la République tchèque d’être traitée de  » laquais immonde des Etats-Unis  » par un officiel cubain.

Dans une autre vie, Simon Panek envisageait de passer des heures perché sur les arbres à observer les oiseaux. Il préparait un diplôme de sciences naturelles. L’Histoire a tout balayé, ses examens et le pouvoir totalitaire. On est en 1989. Il a 22 ans. La Révolution de velours le propulse à la tête du comité de grève étudiant dont il devient l’un des dirigeants. Il rencontre Vaclav Havel, lequel l’enrôle dans l’équipe restreinte qui négociera la capitulation du gouvernement communiste. Après ces semaines d’intensité, Simon Panek tourne le dos à la politique. Il attache plus de prix à l’action civique. La liberté déferle, il a la bougeotte, s’essaie au journalisme, découvre l’Europe occidentale, l’Asie, l’Afrique du Nord.  » J’ai même réussi à mettre les pieds en Union soviétique.  » Au printemps 1992, il est à Prague. Le téléphone sonne. C’est Jaromir Stetina, correspondant du quotidien Lidove Noviny. Il revient du Nagorny-Karabakh û région séparatiste à dominante arménienne alors en conflit armé avec l’Azerbaïdjan.  » Après ce que j’ai vu là-bas, je ne peux plus m’en tenir au reportage, lui dit-il. Pourquoi ne pas monter une équipe de secours humanitaire ?  » Stetina, la cinquantaine, sait à qui il s’adresse. En 1988, le séisme en Arménie avait provoqué un vaste élan d’aide internationale. Les autorités communistes de Tchécoslovaquie restent passives. Sans vergogne, Simon Panek et deux copains se présentent à l’ambassade d’URSS, expliquant qu’ils veulent envoyer une assistance à la petite république soviétique. Initiative individuelle ? En d’autres temps, on les aurait jetés dehors. Perestroïka oblige, les représentants de Moscou acquiescent.  » Ainsi, nous avons improvisé une aide spontanée, sans encadrement d’en haut « , se souvient Simon. En 1992, lui et quelques amis collectent les dons au profit du Karabakh. Lidove Noviny leur offre une page pour convaincre et deux téléphones. Bilan : environ 50 000 dollars.  » Vu d’Europe occidentale, cela paraît insignifiant. Pour la Tchécoslovaquie de l’époque, c’était considérable. Avec ça, on a rempli un avion de médicaments et emmené des journalistes pour qu’ils informent sur la situation.  » Simon Panek a trouvé sa voie. Par goût de l’aventure ?  » Sans doute, mais on ne subit pas l’enfermement communiste sans contracter le besoin irrépressible d’aller voir ailleurs.  » La guerre s’allume dans les Balkans, embrase la Bosnie.  » Igor Blazevic nous avait avertis. Originaire de Sarajevo, il vivait à Prague depuis le début des années 1990. Avec lui et un fort soutien médiatique, dont celui de la télévision tchèque, on a lancé la campagne ôSOS Sarajevo » û qui a récolté plus de 1 million de dollars. Nous étions une poignée de bénévoles sans autre préoccupation que celle d’agir. Impossible de gérer une pareille somme en amateurs. On a dû créer un département financier, recruter des comptables.  » Encore faut-il que l’aide médicale et alimentaire parvienne à l’intérieur de la ville assiégée. Au début de la guerre, il est parfois possible de parlementer avec certains des chefs d’unité serbes. Ensuite, un pont aérien se met en place.  » Nous avons quand même pu convoyer jusqu’à Sarajevo une dizaine d’ambulances offertes par des hôpitaux « , souligne Simon Panek. Ainsi, moins de trois ans après la chute du communisme, est née à Prague une ONG présente aujourd’hui en Tchétchénie, en Afghanistan, en Irak, dans une vingtaine de pays au total, partenaire des agences onusiennes, reconnue pour son professionnalisme, active sur le terrain des droits de l’homme, de l’éducation, de la reconstruction de la vieà En République tchèque, elle lutte contre l’exclusion sociale, celle des Rom en particulier. En 2002, quand les inondations ravagent une partie du pays, elle est là pour secourir les sinistrés. D’où vient son nom, L’homme en détresse ?  » J’avoue, sourit Panek. Il y avait autrefois en Autriche un programme pour l’ex-Yougoslavie intitulé  »Voisins en détresse ». Ça nous a inspirés.  » A 37 ans, il a gardé sa dégaine d’étudiant, avec de la gravité au fond des yeux. En 2003, il a reçu le prix L’Européen de l’année, attribué par le Reader’s Digest û et 10 000 A, aussitôt affectés aux opérations humanitaires. Son souci ? Démultiplier l’effet des dons.  » Nous utilisons du matériel local, des moyens de transport ordinaires. Par ailleurs, on a peu d’expatriés sur le terrain, environ 25, mais 400 employés locaux, auxquels on fournit ainsi un travail et une rémunération.  » Son impératif ? Contrôler en direct l’acheminement de l’aide à ses destinataires :  » Nous y sommes parvenus en Tchétchénie, même durant les opérations militaires.  » Pour se rendre sur place dans les premiers mois de la guerre actuelle, il exhume un accord conclu durant la précédente avec le ministère russe des Situations d’urgence. Un temps, le document fait son effet. Mais L’homme en détresse subit bientôt le lot commun des ONG û autorisations mensuelles, suspicion constante des troupes fédérales. En février 2003, Ibrahim Ziazikov, son représentant en Ingouchie, est kidnappé à Grozny, comme Arjan Erkel, de Médecins sans frontières, l’a été au Daguestan. On est sans nouvelles de lui.

A ses débuts, durant la guerre en Bosnie, l’organisation, soutenue par Vaclav Havel, avait des relations plutôt houleuses avec le ministère des Affaires étrangères tchèque,  » qui nous accusait d’agir sans mandat officiel û comme si nous en avions besoin, souligne Panek û et nous reprochait surtout de réclamer l’usage de la force contre les extrémistes serbes pour imposer la paix « . Depuis lors, les tensions se sont apaisées. Le gouvernement tchèque  » est désormais plus généreux à l’égard des ONG que ses pairs hongrois, polonais et slovaque « .

Où Simon Panek puise-t-il la force de ses convictions ?  » Mon père a passé onze ans dans les geôles communistes.  » Le 1er mai prochain, les 25 seront-ils égaux entre les égaux au sein de l’Union ?  » Je l’espère « , conclut-il, un rien dubitatif.

La semaine prochaine : Les Slovaques

Sylvaine Pasquier

ôOn ne subit pas l’enfermement communiste sans contracter le besoin d’aller voir ailleurs »

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