Simenon m’était conté…

Pour composer un nouvel objet littéraire nommé Autodictionnaire Simenon, Pierre Assouline, déjà biographe du créateur des Maigret, a colligé des milliers d’extraits puisés dans les écrits et les propos de l’écrivain liégeois.

Le 4 septembre 1989, il y a juste vingt ans, Teresa, la dernière compagne de Georges Simenon,  » l’homme aux 10 000 femmes  » (dont quelque 8 000 prostituées, c’est lui qui en avait fait le décompte) dispersait les cendres de l’écrivain dans le jardin de leur maison de Lausanne, à l’endroit même où l’écrivain avait répandu celles de sa fille Marie-Jo, morte en 1978 à l’âge de 25 ans. Cet événement tragique (le suicide d’une enfant chérie, d’une seule balle tirée en plein c£ur) avait alors laissé le père des Maigret stupéfait, effondré, anéanti. Lui, le bavard, l’excessif, le voyageur, n’avait plus trouvé ensuite que la force de coucher sur papier ses Mémoires intimes, avant de baisser définitivement pavillon… De cette ultime brique (2 400 pages) écrite par un homme accablé de douleur, Pierre Assouline, critique et spécialiste de l’univers simenonien, a beaucoup puisé. Pour faire jaillir un autre Simenon, sans doute, plus proche de ce que l’auteur liégeois fut vraiment, après celui dont le critique français a donné un portrait contrasté (et contesté) dans une biographie qui fait référence depuis 1992. Une sorte de compilation, donc,  » non pour convaincre les réticents ni désarmer les hostiles, précise Assouline, mais plutôt pour revisiter Simenon avec un autre regard « .

Si l’ Autodictionnaire Simenon se présente sous une forme classique, avec des centaines d’entrées classées par ordre alphabétique, l’originalité de l’ouvrage tient au fait que toutes les définitions (deux lignes ou deux pages, c’est selon) sont uniquement tirées de la plume ou de la voix de Simenon lui-même. Assouline a presque tout relu (les 192 romans  » durs  » et les enquêtes de Maigret, les Dictées, les Mémoires, la correspondance, les reportages), et tout réécouté (les interviews, les conférences), pour extraire des pépites parfois inédites du flot de textes et de paroles. Il n’a toutefois rien retenu des 190 romans populaires sous pseudo (Simenon les trouvait lui-même très mauvais, très fleur bleue), et n’a gardé que  » le minimum  » de l’£uvre de fiction, pour éviter, justement,  » ce vieux piège qui consiste à attribuer à l’auteur des pensées de ses personnages « .

Reste une somme d’extraits qui livrent l’écrivain tel qu’en lui-même. Des passages éclairants sur sa relation à son célèbre commissaire (ce satané Maigret qui, lui apportant la fortune, dans le genre mineur du polar, l’a aussi privé du Goncourt ou du Nobel), et d’autres, qui se lisent d’un souffle oppressé (et qu’on sait gré à Assouline de n’avoir pas charcutés). Tels les propos repris sous les entrées  » Henriette Simenon  » et  » Mère « , où se dévoile le n£ud d’une souffrance quasi indicible – celle d’un auteur reconnu par tous, sauf par sa génitrice. Un dictionnaire qui touche ses lecteurs par ce qui sourd d’entre les blancs, les interstices et les marges, c’est en tout cas bien rare…

Autodictionnaire Simenon, par Pierre Assouline, Omnibus, 864 p.

VALÉRIE COLIN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire