Sida : le choc des traitements

Dix ans après l’arrivée des multithérapies, leurs effets secondaires restent très lourds. Tant pour la santé que pour le moral des patients

Erik Vidal s’en souvient encore : quand il subissait ses deux injections quotidiennes, il avait la sensation que  » des mygales [le] piquaient de toutes parts. Au bout de quelques mois, il n’y avait plus de place sur le ventre ni sur les épaules, on cherchait des bouts de peau accessibles. Alors on essayait la cuisse, même si, après, on ne peut plus marcher « . Depuis, Erik a interrompu son traitement : une molécule appelée T 20, aux résultats parfois prometteurs, mais qu’il n’a pu supporter.  » Que les docteurs arrêtent donc de dire que les malades ont peu d’effets secondaires ! J’ai un foie d’alcoolique, des douleurs constantes au poignet, des pertes de mémoire terribles. En fait, j’en ai avalé tellement, de leurs gélules, qu’elles ont bouffé l’os de ma hanche gauche. Et maintenant j’ai une prothèse. A 44 ans.  »

C’est ainsi : en ce 1er décembre, Journée mondiale contre le sida, dix ans après l’arrivée des premières multithérapies, dix ans après ce qui constitua, effectivement, un immense espoir, médecins et patients sont confrontés à des échecs thérapeutiques de plus en plus inquiétants. Certes, plus des deux tiers des malades  » répondent  » correctement aux traitements. Certes, cet effet semble se confirmer dans le temps. Mais on voit désormais des transmissions de virus résistants chez des gens nouvellement infectés. Sans parler des 5 à 7 % de patients en échec complet, auxquels il n’y a pas grand-chose à proposer.

La maladie redevient stigmatisante

Quant aux effets secondaires dus aux traitements, on n’est pas près de les éradiquer. Les lipodystrophies par exemple, une affection métabolique qui se caractérise par une ceinture graisseuse à l’abdomen et un amaigrissement considérable des bras et des jambes, concernent de 10 à 30 % des patients. Or elles affectent gravement l’image de soi, au point qu’être séropositif redevient stigmatisant. Pis, on voit se développer des pathologies jusqu’alors inconnues parmi les porteurs du VIH : des troubles cardio-vasculaires, des pancréatites, des encéphalopathies fulgurantes, sorte de mort cérébrale accélérée dont on ne sait exactement à quoi elle est due. La survenue de certains cancers inquiète aussi. Est-ce lié au vieillissement naturel des patients ? Au fait qu’ils boivent et fument plus que la moyenne ? A une restauration de leur immunité qui demeurerait incomplète ? Les médecins ne disposent pas encore d’assez de recul pour répondre avec certitude. Eric Improvisi, lui, ne compte plus les interventions chirurgicales qu’il a subies du fait de la présence de calculs dans ses reins, liée à une molécule mal acceptée par son organisme.  » Entre la première opération, les complications, le déchirement de l’urètre, les suppurations diverses et autres, je dois avoir dépassé la vingtaine !  » lance-t-il, en détaillant son traitement actuel : 30 gouttes, 3 ampoules, 22 cachets quotidiens et 2 piqûres hebdomadaires,  » plus tout le reste : antidépresseurs, antidouleur, antidémangeaisonsà « . Un peu plus tard, il évoquera pudiquement ses problèmes de libido,  » malgré une femme très jolie avec qui j’ai souvent envie de faire l’amour « . Mais, à une dizaine d’euros le comprimé contre l’insuffisance érectile, il lui faut parfois renoncer, car  » les allocations perçues [lui] permettent à peine de vivre « .

Faut-il pour autant arrêter les médicaments ? Sûrement pas, d’autant que de nouvelles molécules sont actuellement en expérimentation. L’une d’elles en particulier, testée sur un petit nombre de patients, semble très prometteuse : une antiprotéase de deuxième génération, qui pourrait avoir un effet de type universel, espèrent certains médecins. Mais la chose est désormais avérée : le sida a beau évoluer en affection  » chronique « , selon les spécialistes, il ne sera jamais une maladie comme une autre.

Vincent Olivier

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