Si loin, si proche…

Guy Gilsoul Journaliste

Distant Proximity. Cette exposition, à Bruxelles, réunit des artistes autour d’un thème délibérément paradoxal :  » la proximité et la distance au monde extérieur « . Par le biais d’oeuvres d’une grande intériorité.

A l’entrée des églises, il y a un bénitier. Ici, avant de pénétrer dans la première salle, le visiteur est invité à plonger la main dans une boîte où sont entassées des paires de lunettes qui vont lui permettre de visionner en 3D l’oeuvre signée Lauren Moffatt. Le film en noir et blanc comporte deux parties. Dans la première, l’artiste explique la raison pour laquelle elle s’est confectionnée un casque protecteur qui, muni d’une caméra et d’un miroir sans tain, lui permet de voir devant elle sans subir le regard ni des autres ni des multiples caméras de surveillance. Dans la seconde, elle s’est installée derrière la vitre de la première voiture d’une rame de métro. Derrière elle, les voyageurs assis la regardent. Devant elle se déroule le  » spectacle  » que verrait le conducteur si ce véhicule entièrement automatisé en réclamait un. Le ton est donné. La confrontation avec la réalité que découvre Lauren Moffatt, devant ou derrière elle, peut l’effrayer.

Alors, comme chacun de nous, Lauren Moffatt et les artistes qui vont suivre s’inventent des mondes mêlant souvenirs, désirs, peurs et imaginaires. Jeroen Hollander, en d’infinis réseaux de lignes de bus, tram et métro, cartographie ainsi des villes imaginaires. Françoise Schein évoque la vision aérienne et nocturne d’une Belgique structurée par ses autoroutes et ses multiples points lumineux. Mais ce sont les assemblages aux allures d’édifices improbables réalisés par Alfred et Corinne Marie (ACM) qui constituent le premier point fort du parcours. En s’approchant, on distingue une multitude de petits éléments issus des constituants de l’informatique collés les uns aux autres. D’une extrême fragilité, ils sont en réalité le lieu d’un combat à mort puisque les auteurs choisissent de fixer, après les avoir ou non passés à l’acide, des éléments métalliques incompatibles.

Le second temps fort, posé au milieu de l’espace central, évoque un bateau fantôme. Recouverte de poussière noirâtre, The Blind Leading The Blind, l’oeuvre monumentale de Peter Buggenhout est bâtie à partir de diverses récupérations. On reconnaît là une bâche, là une planche de bois compressé, là encore un rideau de douche. Mais l’essentiel est métallique. Ce sont des plaques découpées, des tiges droites et, ici, surtout, des éléments venus en droite ligne d’un catamaran voué à la destruction. Debout sur le pont à peine suggéré, plusieurs silhouettes s’accrochent l’une à l’autre jusqu’à la dernière, qui, sans doute, entraînera le groupe dans sa chute. Oui, il y a du Bruegel de La Parabole des aveugles dans cet opus. Et avec cette allusion contextualisée sur ce vaisseau à la fois actuel et déjà réduit à l’état de poussière, un appel qui ne peut que retenir notre attention. Seuls, deux grands dessins de Valérie Sonnier ont été accrochés dans cet espace. Très sombres, ils font apparaître la maison et le jardin de son enfance. Destinée à la démolition, la propriété appartient déjà à la mémoire. Oui, comme l’indique le titre de l’exposition – Distant Proximity (la distance proche) – la réalité que nous construisons dans notre cerveau unit souvent le proche au lointain comme le présent au passé et l’immensité à une cartographie.

Distant Proximity, Centrale for Contemporary Art, à Bruxelles. Jusqu’au 8 juin. www.centrale-art.be

Guy Gilsoul

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