Sharon: triomphe sans espoir

L’écrasante victoire du Premier ministre et l’effondrement de la gauche confirment le désarroi de la société israélienne. Aucune relance sérieuse du processus de paix ne peut être attendue du gouvernement qui sortira – peut-être – des élections

« Si le président me confie la tâche de former le nouveau gouvernement, j’appellerai tous les partis sionistes à rejoindre ma majorité qui sera large, stable et solide, parce que c’est la volonté du peuple. » Un peu sonné par l’ampleur de la victoire du Likoud, son parti (37 sièges à la Knesset au lieu de 19 avant les élections) et par celle de la défaite du parti travailliste d’Amram Mitzna (19 députés au lieu de 25), Ariel Sharon a entamé les premières démarches en vue de la constitution d’un nouveau gouvernement d’union nationale. Mais tout porte à croire qu’il se fera sans les travaillistes puisque, Mitzna a confirmé son intention de ne pas y participer. « Ce n’est pas une honte d’être dans l’opposition, a-t-il dit. A partir d’aujourd’hui, l’ « Avoda » (le parti travailliste) sera dans toutes les rues et dans toutes les maisons pour dénoncer la politique de catastrophe sociale menée par Sharon. » Plutôt optimiste malgré sa défaite, le chef de l’opposition de gauche a également promis « de ne pas participer à un gouvernement de droite mais de le remplacer rapidement ».

Les commentateurs israéliens n’ont pas vraiment été surpris par les résultats des seizièmes élections législatives de l’Etat hébreu. En revanche, les sondages n’avaient pas prévu que la victoire du Likoud serait aussi massive ni que le taux de participation serait aussi faible. « Dans un pays aussi politisé qu’Israël, une participation inférieure à 70 % signifie sans doute quelque chose, explique la chroniqueuse politique Rina Matsliah. Il se peut que les gens en aient assez d’aller voter tous les ans ou tous les deux ans comme ils le font depuis 1996. Mais il est plus probable qu’ils sont déboussolés et qu’ils n’ont pas trouvé dans les 26 partis qui étaient en lice la liste représentant l’avis qu’ils ont l’envie d’exprimer. »

Pourtant, les résultats démontrent que des pans entiers de l’opinion israélienne ont massivement viré à droite. En témoignent également la défaite du petit parti de gauche Meretz (6 sièges au lieu de 10), dont le leader Yossi Sarid a aussitôt démissionné, ainsi que la bonne tenue de l' »Union nationale », une formation d’extrême droite réclamant, entre autres, le « transfert » des Palestiniens des territoires occupés vers les pays arabes voisins (7 mandats au lieu de 6).

Phénomène intéressant: pour la première fois, le Likoud et la plupart des formations d’extrême droite ont recueilli de nombreuses voix dans ces bastions traditionnels du parti travailliste que sont les kibboutzim et les villes du centre du pays. C’est aussi dans ces zones que le « Chinouï » (Changement), un nouveau parti laïc, libéral, et de droite, prônant notamment la séparation de la synagogue et de l’Etat, a réalisé ses meilleurs scores. Dirigé par l’ex-journaliste Tommy Lapid, le Chinouï est né d’une dissidence du Meretz. Il compte aujourd’hui 15 députés (des inconnus pour la plupart), alors qu’il n’en avait qu’un seul en 1999. Pour l’heure, Lapid appelle Sharon à constituer une « majorité laïque » avec son parti et les travaillistes, tout en excluant les formations religieuses qui ont, d’une manière ou d’une autre, toujours participé à la gestion du pays depuis sa création en 1948.

Cette proposition a cependant peu de chance d’être entendue. Parce qu’une partie importante de l’électorat du Likoud est formée de juifs religieux ou, du moins, pratiquants. Et parce que le succès du Chinouï risque de n’être qu’un feu de paille. « La politique israélienne a déjà connu de nombreux phénomènes semblables, raconte le chroniqueur Hanan Krystal. En 1977, le parti centriste « Dach », sorti de nulle part, avait effectué une percée extraordinaire avant de disparaître corps et biens, quatre ans plus tard. Par après, d’autres formations comme « Tsomet » (extrême droite) ou la « Troisième voie » ont connu la même percée éclatante suivie du même déclin irréversible. Ceux qui voient dans leChinouï un parti susceptible de brouiller le jeu politique traditionnel entre le bloc de la droite emmené par le Likoud et celui de la gauche dirigé par l’Avoda devraient donc attendre un peu. »

Certes, en cas de situation d’urgence – une guerre avec l’Irak, par exemple – le Chinouï entrerait aussitôt dans le gouvernement, même si des formations religieuses en font partie. L’Avoda effectuerait aussitôt la même démarche au nom de la « responsabilité nationale ». Mais, en attendant, Ariel Sharon se retrouve embarrassé par sa victoire, puisque aucun partenaire ne semble pressé de partager le pouvoir avec le Likoud. En effet, sur le papier, le bloc des partis de droite et d’extrême droite dispose de 67 sièges sur les 120 que compte la Knesset (parlement). Or le Premier ministre refuse de faire alliance avec l' »Union nationale » (UN). Parce qu’il hait son leader, Avigdor Liberman, qui l’a insulté publiquement à plusieurs reprises, et parce que ce parti exige un prix politique beaucoup trop élevé pour participer au gouvernement. En outre, les exigences de Liberman (la reconquête définitive des territoires palestiniens, le bombardement de Ramallah et l’élimination physique de Yasser Arafat) risqueraient de brouiller Sharon avec l’administration américaine.

Paradoxalement, de nombreux partis de petite ou de moyenne importance sont candidats au pouvoir au côté du Likoud mais ils sont à peu près tous sur le déclin. Le « Shass », le parti orthodoxe représentant les sépharades (juifs originaires du bassin méditerranéen) a participé à toutes les coalitions depuis 1995. Il a en tout cas perdu 6 sièges (11 élus au lieu de 17). Quant au parti des immigrants russes « Israël Be Alyah », dirigé par l’ex-dissident soviétique Nathan Chtaranski, il compte désormais 2 mandats au lieu de 4 avant les élections du 28 janvier. « Le « Chinouï » n’a pas seulement mordu sur l’électorat du « Meretz » et des travaillistes, estime Krystal. Comme le Likoud, il a également réussi sa percée au sein de l’électorat russophone ( NDLR: près d’un million de personnes). Ce phénomène démontre que ces migrants commencent à bien s’intégrer dans la société israélienne puisqu’ils abandonnent leurs partis catégoriels au profit de parti d’intérêt général. »

Ariel Sharon sait qu’il ne pourrait compter sur une coalition précaire, composée de petits partis disparates, alors que la situation économique désastreuse du pays exige de nouvelles mesures de restrictions budgétaires qui risquent, cette fois, de provoquer l’explosion aussi d’une partie de la population, en voie de paupérisation. Il sait également que, dans quelques mois – sans doute avant la fin de l’année -, la Maison-Blanche exigera la mise en application de la « feuille de route », un projet de plan de paix approuvé par Israël et prévoyant notamment le gel de la colonisation des territoires occupés ainsi qu’un retrait partiel de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Pour en arriver là, le Likoud, dont certains « barons » commencent à accepter l’idée d’un « Etat palestinien minimal » doté d’une souveraineté limitée), a besoin d’alliés forts et fiables. Or, pour le moment, ceux-ci n’existent pas. « Vu de loin, Sharon ressemble à un colosse mais il a des pieds d’argile, dit Krystal. En supposant qu’il arrive à constituer un cabinet tenant vaille que vaille, deux épreuves s’ajouteront aux précédentes: une guerre éventuelle avec l’Irak et les enquêtes judiciaires sur la corruption alléguée de certains membres du Likoud, ainsi que sur les deux fils du Premier ministre. Quelle que soit la formule choisie par Sharon pour constituer la coalition qui le soutiendra, il n’est pas dit qu’elle tiendra le coup longtemps, même si les travaillistes acceptent finalement d’en faire partie après quelques mois de purgatoire. L’hypothèse de nouvelles élections anticipées n’est donc pas à exclure et celles-ci pourraient avoir lieu beaucoup plus rapidement qu’on ne l’imagine. »

Serge Dumont

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