DE JEAN SLOOVER
Les premiers accords du GATTont été signés à Genève en 1947. Leur impact sur les relations commerciales internationales a été positif: au travers de l’abaissement des droits de douane, de négociation en négociation – appelées « runds » – les frontières sont devenues plus hospitalières aux marchandises traditionnellement échangées entre pays. Mais, en 1982, sous Reagan, une puissante coalition d’intérêts privés américains s’attache à faire entrer de nouveaux secteurs dans le GATT. En 1986, quatre domaines d’activité sont finalement ajoutés: l’agriculture, la propriété intellectuelle, l’investissement et les services. Ces derniers sont regroupés pêle-mêle dans un accord spécial, l’AGCS, l’Accord général sur le commerce des services, comme thèmes futurs à débattre. Ces discussions, simplement programmées, n’ont l’air de rien. Pourtant, sur le fond, la donne est alors fondamentalement changéecar le nouvel accord prévoit aussi la transformation du GATT en « Organisation mondiale du commerce ». La fameuse OMC…
Depuis 1948, le GATT était essentiellement contractuel et provisoire. Les procédures de l’OMC sont, elles, expéditives et fréquentes. Dans le cadre du GATT, il y avait peu de litiges et les représailles n’étaient pas permises. Avec l’OMC, des représailles sont explicitement autorisées si une ouverture commerciale insuffisante est constatée. Par ailleurs, l’OMC comporte aussi une instance dite d' »évaluation des politiques commerciales « . Il s’agit en réalité d’un organe de surveillance et d’ajustement au niveau mondial des politiques économiques des Etats: les mesures nationales recensées par cet organe peuvent être jugées « non conformes » et faire l’objet d’un programme de démantèlement afin de mettre les législations et les politiques intérieures des Etats en conformité avec la totalité des articles de l’OMC et de ses accords futurs… Ainsi l’OMC dispose-t-elle de la capacité de mettre les parlements nationaux sous tutelle!
De surcroît, tout cela n’a pas vraiment été mis en place dans la transparence et le respect des règles démocratiques. Personne n’a été correctement informé de la portée des engagements à souscrire. Et les ratifications nationales ultérieures se sont faites dans des conditions identiques. A telle enseigne que certains n’hésitent pas à désigner la création de l’OMC comme un acte de piraterie au sommet(1) ! Grave? Plutôt, oui. Le fonctionnement de l’OMC a, en effet, des implications sur la vie quotidienne des citoyens. Un exemple? L’Europe a interdit l’usage d’hormones pour l’élevage des boeufs. Les Etats-Unis l’ont donc assignée devant l’organe des différends de l’OMC qui a jugé qu’il s’agissait bien d’une obstruction au commerce. Les Etats-Unis ont donc été autorisés à exercer des représailles vis-à-vis de l’Europe. Ce qui se retrouve dans notre assiette est donc clairement influencé par l’OMC!
L’AGCS, aujourd’hui, est à l’agenda: dans les prochains mois, les Etats vont devoir dire lesquels de leurs services ils acceptent de libéraliser. Il s’agit notamment de donner, aux firmes étrangères, le traitement dit national: même accès aux marchés, mêmes aides publiques que les firmes nationales, etc. Ceci pourrait conférer aux plus puissantes d’entre elles un traitement de faveur. D’aucuns estiment dès lors qu’il y a là un risque de démantèlement de nos services publics: santé, éducation, distribution d’eau, protection de l’environnement, etc. Les syndicats, donc, fourbissent leurs armes. Dans ce contexte, le 3 décembre dernier, a eu lieu à l’Assemblée nationale française un colloque sur l’OMC et la démocratie. Cette manifestation visait à sensibiliser les élus et les syndicats français aux enjeux de l’AGCS. Un de ses objectifs était de faire passer l’idée d’un moratoire afin de donner aux hommes politiques et à la société civile le temps d’évaluer les accords envisagés à l’aune de l’intérêt général. En Belgique, une proposition de loi écolo a été déposée dans le même sens. Une autre application du principe de précaution au fond. Pourquoi pas?
Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides, OMC, le pouvoir invisible, éditions Fayard, 2002, 332 pages.
A l’OMC, l’Accord général sur le commerce des services entre dans une phase cruciale. Le danger est grand. Et nous sommes tous concernés.