Sarkozy Derniers secrets

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

C’est dans les tourments de la fin d’un couple que s’est ouvert le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Cette irruption du privé dans la sphère publique a pesé lourd dans le divorce entre le président et une partie des Français. Une part d’intime qui est au c£ur de L’Impétueux, le livre de Catherine Nay dont Le Vif/L’Express publie des extraits. Et qui sera, en 2012, l’une des clés du scrutin.

C’est l’histoire d’un divorce. Ou plutôt de deux divorces. Le premier concerne un couple dont la vie privée et la vie publique avaient fusionné : lors du premier semestre de son quinquennat, Nicolas Sarkozy subit la fin de son mariage avec Cécilia – plus exactement, il subit Cécilia puis la fin de leur union. Le second implique un peuple et son président : quelque chose s’est brisé entre les Français et celui qu’ils avaient élu dans l’enthousiasme. Brisé en quelques mois, en quelques semaines. Certains faits, commis alors que le nouveau chef de l’Etat n’a pas encore pris ses fonctions, qu’il est le vainqueur de la présidentielle mais pas encore le président, marquent tant les esprits qu’ils dominent l’actuelle campagne. Ainsi de la soirée au Fouquet’s, le 6 mai 2007, qui contraint le sortant, aujourd’hui, à un douloureux mea culpa, un acte de contrition dont il fait un livre. Interrogé sur France 2, le 22 février, il bredouille de vrais-faux regrets, et dans ces borborygmes s’exprime toute sa difficulté à accepter l’évidence : entre les citoyens et lui, il s’agit moins d’un désaccord politique que d’un problème personnel. Ce ne sont pas des millions de Français qui rechignent à le voir réélu, ou le rejettent carrément ; ce sont des millions de fois un Français qui a des raisons intimes de ne plus voter pour lui. Comment, un par un ou presque, les retourner ?

Il n’y a pas que l’épisode du Fouquet’s qui ait fâché le peuple. La tentative de nomination de Jean Sarkozy à la tête de l’Etablissement public d’aménagement de la Défense, en 2009, n’est ni oubliée ni pardonnée. Le poète n’a pas toujours raison, mais ses vers grouillent dans le cadavre de la popularité.  » Jean, mon fils, est l’expert de sa propre évidence/Jean, mon fils, est l’expert de ma continuité « , écrit Xabi Molia dans Grandeur de S (Seuil), son recueil sur le quinquennat. Et sur Cécilia, il compose :  » Une femme allongée sur un bateau languide/D’un regard vous élève ou bien vous simplifie.  » Puis il ajoute :  » La Princesse de Clèves/C’est mon histoire à moi/Le puissant fut trahi/Par celle qu’il aimait.  » Présider avec elle, présider pour elle, présider malgré elle : l’obsession Cécilia colore la lutte pour le pouvoir – comme l’a illustré le film La Conquête – puis désarticule la prise du pouvoir. Ses caprices, ses colères, ses faveurs et ses disgrâces, ses (respectables) états d’âme et ses (inacceptables) pressions sur l’entourage : telle est la bonne grille de lecture des premiers mois. Les Français découvrent soudain que l’hyperprésident cache un homme sous influence, un homme dépendant.

Sarkozy brisé par les siens, ce  » feuilleton « , comme il l’a dit lui-même, est au c£ur de L’Impétueux, la chronique du mandat rédigée par Catherine Nay, dont Le Vif/L’Express vous présente les meilleurs extraits. Nicolas Sarkozy n’a pas privatisé le pouvoir, comme le lui reprochent les anti-sarkozystes primaires : c’est sa vie privée qui l’a empêché d’emblée d’être président. Que la suite, avec la placidité et la sédentarité apportées par Carla Bruni puis la naissance de Giulia, ait aidé Nicolas Sarkozy à se présidentialiser ne change pas son défaut fondamental, son vice de forme : l’individu domine le chef d’Etat, le baromètre du pouvoir dépend de sa météo intime.

Bien sûr, la crise est plus importante que la psychologie. D’évidence, la force des programmes, la clarté des idées et la compétence des équipes sont les critères majeurs d’un bon choix électoral. Mais la démocratie est ainsi faite – et l’élection présidentielle en est l’incandescence – que c’est un être humain que l’on adoube, que l’on sacre : le subjectif l’emporte donc sur l’expertise, et le pacte social s’efface devant le contrat de confiance que chacun établit avec le candidat de son choix. Aujourd’hui, le débat de fond s’enlise, tandis que la discussion populaire s’enflamme à propos des caractères. Pour les uns, François Hollande est incapable de décider, de trancher, d’exister ; pour les autres, Nicolas Sarkozy est indigne, par son comportement, de conserver sa fonction. D’ailleurs, les deux candidats s’échangent des noms d’oiseaux : c’est un combat de coqs, et le suspense s’organise autour de la psychologie plus que de la politique.

L’échec économique prend les allures d’une démystification

Le procès intenté au président, intuitu personae, prend une dimension ésotérique avec la crise. Dans toute l’Europe, le  » sortez les sortants  » est une catharsis, un exorcisme. En France, où le chef de l’Etat est nimbé d’une onction suprême, quasi surnaturelle, l’échec économique prend les allures d’une démystification. Les citoyens l’accuseraient presque d’imposture, oubliant qu’ils l’ont élu sans coup férir. A cinquante jours du premier tour, Nicolas Sarkozy n’a pas encore perdu le scrutin ; mais s’il déjoue la logique des sondages, ce sera moins par l’habileté de ses propositions, clonées de ses promesses de 2007 ou improvisées en son actuel Blitzkrieg, que par sa force de caractère. En effet, si son intimité l’a égaré en 2007, il en a réchappé, il a triomphé de sa propre malédiction, et c’est en grand brûlé qu’il s’avance vers les électeurs. Ses derniers secrets, alors, pourraient bien être ses dernières cartouches.

CHRISTOPHE BARBIER

C. B.

L’obsession Cécilia colore la lutte pour le pouvoir, puis désarticule la prise de pouvoir

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