Sans DLU, quid des milliards planqués à l’étranger ?

Pas d’amnistie fiscale. D’accord, mais comment l’Etat belge compte-t-il récupérer son dû ? Il pourrait faire davantage pression sur son voisin luxembourgeois et prendre des positions plus tranchées au niveau international.

Il n’y aura donc pas d’amnistie fiscale. Même si l’idée était sur la table quasi jusqu’à la fin des négociations, le dernier conclave budgétaire n’a pas accouché d’une nouvelle DLU (déclaration libératoire unique). Une solution a priori facile pour récolter, selon les pronostics, un demi-milliard d’euros d’impôts. Mais trop délicate à défendre sur le plan éthique, ont estimé plusieurs partis.

Il n’en reste pas moins que 100 milliards d’euros appartenant à des contribuables belges – c’est le montant le plus souvent cité – sont toujours cachés dans des banques étrangères. Principalement dans des paradis fiscaux. Dont plus de 32 milliards rien que dans les banques helvétiques ( Le Vif/L’Express du 2 mars) ! Au début de ce mois, la justice française a encore fourni au parquet d’Anvers 1 200 noms de contribuables belges possédant des comptes secrets auprès de la banque HSBC en Suisse. Lesquels sont venus s’ajouter à la liste des 800 noms belges déjà fournis par la France en 2010.

Sans DLU, comment le gouvernement d’Elio Di Rupo espère- t-il récupérer un juste impôt sur ces capitaux ? La voie royale semble toute tracée : il s’agit de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales. Ce grand troc, que craignent les contribuables qui dissimulent leur argent à l’étranger, est prévu par la fameuse directive européenne  » Epargne  » de 2005, qui vise à lutter contre l’évasion liée aux revenus de l’épargne et à restreindre la concurrence fiscale à l’intérieur de l’Union.

Certains pays, comme l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg, avaient obtenu une dérogation transitoire de sept ans pour continuer à pratiquer le secret bancaire, qu’enterre, par définition, la directive européenne. Après d’âpres négociations, on leur avait permis, plutôt que de pratiquer l’échange automatique d’informations, de prélever une retenue à la source sur les revenus de l’épargne de leurs non-résidents, dont l’anonymat restait préservé, et de ristourner l’impôt au pays d’origine des contribuables concernés. On le sait : la Belgique a abandonné plus vite que prévu cette prérogative et a renoncé à son secret bancaire.

Dans le cadre de la  » directive Epargne « , la Commission européenne négocie aussi des accords avec des Etats tiers dits  » participants « , comme la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Guernesey, San Marin…, connus pour attirer les grosses fortunes en toute discrétion. Ces pays sont soucieux de ne plus figurer sur la liste noire des havres fiscaux de l’OCDE. Mais ils ne vont pas jusqu’à abandonner leur secret bancaire. Ils prélèvent, eux aussi, un impôt à la source, pour éviter l’échange automatique d’informations fiscales.

Les Belges toujours à l’aise au Luxembourg

Pour l’instant, la directive UE ne rapporte pas grand-chose à la Belgique : une cinquantaine de millions d’euros par an, essentiellement de la part du Luxembourg et de la Suisse. C’est que ces pays résistent, d’une manière ou d’une autre, à la transparence. Voilà un an et demi que la Commission européenne a lancé un recours contre le Luxembourg qui a donné une interprétation particulière à la notion de non-résident dans la transcription de la directive Epargne. Elle menace désormais de saisir la Cour de justice européenne.

Par ailleurs, si les épargnants belges se sentent toujours aussi à l’aise dans les banques grand-ducales, c’est parce qu’ils peuvent y souscrire des produits qui sont exclus du champ d’application de la directive. Le filon des contrats d’assurance-épargne, sur lequel se rabattent les adeptes d’évasion fiscale, est connu. Ces placements échappent à toute taxation au bénéfice du pays d’origine des contribuables concernés. Une seconde mouture de la directive Epargne, que l’Europe peine à réformer, devrait inclure ces produits financiers. Le Luxembourg freine des quatre fers, car cela menace son industrie bancaire.

La négociation et la transcription du nouveau texte européen risquent de prendre du temps. En attendant, une proposition de loi Ecolo suggère la création d’un registre des contrats d’assurance-épargne qui dissuadera les contribuables belges de recourir à ces produits pour éluder l’impôt. Déposée il y a un an, la proposition de loi est, pour l’instant, restée lettre morte…

La Suisse tente, elle aussi, de résister au rouleau compresseur de l’échange d’informations fiscales. Pour contrer la directive européenne, elle a mis au point le modèle Rubik, du nom du casse-tête cubique multicolore. Pour préserver le sacro-saint secret bancaire, le modèle prévoit une retenue à la source sur les revenus de l’épargne des non-résidents mais aussi une amnistie fiscale pour régulariser le passé. Défendu par le secteur bancaire helvétique et par l’Association des banques étrangères en Suisse, le Rubik fait l’objet d’un intense lobbying un peu partout en Europe. La ministre suisse des Finances a personnellement approché son ancien homologue belge, Didier Reynders (MR), sur le sujet à la fin de l’automne dernier.

Deux Etats membres de l’Europe se sont laissé tenter par le Rubik. La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont paraphé un premier accord, en août 2011, au grand dam de la Commission européenne. De son côté, la France a refusé, sur la base d’une étude qui a repéré de nombreuses failles dans le système proposé par Berne. Conclusion des experts de l’Hexagone : cela ne rapporterait pas gros au Trésor français. L’attitude de Berlin et de Londres hypothèque les chances de voir aboutir rapidement la seconde version de la directive Epargne. D’autant que le Luxembourg et l’Autriche revendiquent déjà de voir prolonger leur régime dérogatoire, si la Suisse signe des accords Rubik avec des pays de l’Union.

Pour la Commission européenne, la solution pourrait venir des… Etats-Unis. Dans le cadre du Facta (Foreign Tax Compliance Act) qui vise à lutter contre l’évasion fiscale, Washington a entamé des négociations avec six pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Pays-Bas) pour étendre l’échange automatique d’informations financières. Cette initiative, appuyée par la Commission européenne, constitue une sérieuse épine dans le pied du modèle Rubik : les Länder allemands semblent remettre en cause l’accord engagé avec la Suisse.

En Belgique, le Réseau pour la justice fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN), qui regroupent notamment de nombreux syndicats (socialiste, chrétien et libre), ont envoyé, début mars pendant le conclave budgétaire, une lettre au gouvernement Di Rupo. Dans ce courrier, ils s’étonnent de voir qu’aucune position publique n’ait été prise relative à cette initiative à laquelle la Belgique ne participe d’ailleurs pas. Il faut dire qu’aucune position claire n’a été relevée concernant le Rubik.

Les deux réseaux demandent aussi que l’administration fiscale puisse interroger les banques actives en Belgique sur les mouvements de fonds supérieurs à 10 000 euros vers un pays étranger, qu’il s’agisse ou non d’un paradis fiscal. Une telle mesure existe en France, depuis fin 2010. Elle a déjà permis au fisc français d’ouvrir plusieurs milliers de dossiers d’évasion fiscale.

THIERRY DENOËL

Une piste pour traquer l’évasion : repérer les versements bancaires vers les paradis fiscaux

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