Sacré Joos !

Il se contentait naguère d’être plus réputé pour sa cave à vins que pour sa pensée théologique. Compagnon d’études du pape, le cardinal Joos passe désormais pour un prélat sénile, raciste et homophobe. L’Eglise belge n’en méritait sans doute pas tant

Les catholiques se seraient bien passés d’une telle tornade médiatique ! La semaine dernière, le tout nouveau cardinal Gustaaf Joos s’est répandu en déclarations homophobes, antisémites et antidémocratiques. Dans le magazine flamand pour hommes, P-Magazine, mais aussi dans d’autres médias et sur les ondes, il a assuré que la majorité des homosexuels étaient des  » pervers sexuels « . Il s’en est pris au gouvernement de Guy Verhofstadt, où  » la Loge  » mènerait  » une cabale contre l’Eglise « , au  » maniaque sexuel Bill Clinton « , élu grâce  » au soutien des juifs « , ainsi qu’au suffrage universel : il trouve  » drôle qu’un morveux de 18 ans ait autant à dire qu’un père de sept enfants « . Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a décidé d’introduire une plainte auprès du parquet de Gand. Le président du PS, Elio Di Rupo, a également réagi à des propos  » insultants et inacceptables « , tout comme les jeunes socialistes flamands d’Animo-Limburg, soutenus par leur président de parti, Steve Stevaert, et le député provincial du Brabant flamand, Danny Smagghe (VLD), par exemple.

Bien sûr, le cardinal Joos ne parlait pas au nom de l’Eglise belge. Ce que l’archevêché de Malines-Bruxelles a rappelé, embarrassé et impuissant : un cardinal relève directement du pape ! Evidemment, la diatribe du prélat était à ce point excessive qu’elle en est devenue insignifiante. Il n’empêche : de tels dérapages, répercutés dans la presse internationale, ne sont peut-être pas totalement étrangers à la crise de l’Eglise.

Qui est Joos ? Ce chanoine, qui a enseigné pendant vingt ans la théologie morale et le droit canon, notamment au séminaire de Gand, est inconnu au bataillon des grands penseurs. Mais, vicaire judiciaire, il avait eu les honneurs des médias, en 2001, pour avoir fait annuler le premier mariage du chanteur Helmut Lotti et célébré le second. Particulièrement dévoué, il avait lui-même demandé à servir dans une petite paroisse durant ses temps libres. Depuis 1970, Joos est donc curé à Landskouter (Oosterzele), un patelin de 480 âmes, près de Gand.

Décalé

En fait, son principal mérite est d’avoir étudié, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au Collège pontifical belge de Rome en même temps que Karol Wojtyla, le futur Jean-Paul II. A l’annonce de l’élévation de Joos à la pourpre cardinalice, en septembre dernier, le bourgmestre d’Oosterzele, Johan Van Durme, avait déjà signalé le conservatisme du  » lauréat « , ses sermons légendaires et sa volonté farouche de ramener les gens à la messe. Sans oublier son côté bon vivant. Plus récemment, Rik Torfs, professeur de droit canon à l’université de Louvain (KUL), s’était permis d’ajouter que la qualité de la fantastique cave à vins de Joos était sans doute supérieure à celle de ses idées.

Bref, cette nomination faisait sourire. Ou fait  » tache « , selon l’expression de l’historien Peter Nissen, doyen de la faculté de théologie de l’université catholique de Nimègue (Pays-Bas). La politique des petits amis s’accommode mal des responsabilités de cardinaux, généralement choisis parmi les titulaires des sièges archiépiscopaux les plus en vue et parmi les plus hauts fonctionnaires de la curie romaine. Car ils sont chargés de conseiller le pape dans la gestion de l’Eglise et d’élire son successeur. Mais Joos n’était même pas ordonné évêque, ce qui fut fait une semaine avant qu’il ne soit  » créé  » cardinal le 21 octobre dernier. Moindre mal : ayant dépassé l’âge de 80 ans, il n’est plus autorisé à participer à l’élection du prochain souverain pontife.

Il n’empêche : certains y ont vu une dévalorisation du cardinalat. Les membres du Sacré Collège n’ont jamais été si nombreux, perdant du fait même leur traditionnelle influence. Faut-il y voir le forcing habituel d’un pape boulimique, bourreau de travail et de prières, qui a créé des cardinaux comme il a voyagé ou procédé à des béatifications et à des canonisations, à tour de bras, sans trop prêter attention aux critiques ? Ou le cardinal Joos renvoie-t-il aussi l’image d’une certaine Eglise belge qui vieillit dangereusement ? A force de boucher des trous, faute de vocations, dans des paroisses, avec des prêtres africains, originaires de pays de l’Est ou méritant depuis longtemps une juste retraite, les messages diffusés en chaire de vérité sont de plus en plus décalés par rapport aux réalités du xxie siècle. Et les églises toujours plus désertées.

Dorothée Klein

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