Rue Léopold :  » Un quartier abandonné « 

Propriétaire de la maison voisine de celle qui a explosé rue Léopold, à Liège, Nicolas Bohet était le logeur des jeunes de Hannut et de Saint-Vith, morts dans la catastrophe. Il est sorti de son silence en leur mémoire.

Le Vif/L’Express : Votre immeuble, au numéro 20, a été emporté par l’explosion qui s’est produite au numéro 18 de la rue Léopold. Pourquoi parlez-vous au Vif/L’Express ?

Nicolas Bohet : Si je ne le fais pas aujourd’hui, autant quitter Liège à jamais. J’ai acheté cet immeuble en 2004, en contractant un prêt important parce qu’architecturalement – il est de style haussmannien – il me plaisait beaucoup. Je l’ai rénové impeccablement et j’y ai attiré des locataires extraordinaires, des jeunes gens formidables qui démarraient dans la vie. Mais, alors qu’à ma petite échelle, en tant que privé, j’essayais de faire quelque chose pour ce quartier, la Ville, elle, l’a laissé dépérir. Elle a trop peu fait, selon moi, pour lutter contre le sentiment d’insécurité et les propriétaires négligents ou spéculateurs. Je ne dis pas qu’elle est responsable de ce qui s’est passé. Je dis que cette catastrophe s’est produite dans un contexte particulier d’abandon, à une centaine de mètres de la place Saint-Lambert, de l’hôtel de ville et du commissariat de police.

Certains disent que la police, découragée, demandait aux commerçants de noter les plaques d’immatriculation des véhicules ou les agissements suspects dans la rue. Est-ce vrai ?

Je ne suis pas commerçant, mais j’ai déjà entendu cette rumeur. De fait, la police n’était pas présente dans la rue, préférant surveiller la place Saint-Lambert. La nuit, il n’y avait plus personne. Les habitants et les commerçants n’avaient pas le sentiment d’être écoutés par les autorités. Or notre quartier est un lieu de va-et-vient permanent des toxicomanes, qui harcèlent et terrorisent le chaland, au point que les commerces ferment les uns après les autres. J’avais fait installer une barrière à l’entrée de mon immeuble pour que les locataires ne doivent pas les enjamber, dans le renfoncement de la porte.

Le quartier dépérit depuis les grands projets routiers datant des années 1960 et 1970. La proie rêvée pour les spéculateurs…

On le suppose. Mais la Ville elle-même a aussi sa part de responsabilité, faute de projet urbanistique. Il y a trois ans, rue Souverain-Pont, elle a acheté cinq immeubles qui étaient encore entretenus tant bien que mal par leurs propriétaires. Cela partait d’une bonne idée : y installer des boutiques d’artisanat et d’art en rez-de-chaussée et des logements de qualité aux étages. Les plans sont exposés, mais rien ne se passe et les maisons se dégradent.

N’est-ce pas le tableau habituel des centres-villes paupérisés ?

Certainement pas. Mes locataires avaient entre 24 et 25 ans, ils avaient de belles professions. Ils étaient attirés par la grande ville, sa vie chaleureuse, ses beautés historiques. Je ne crois pas que la pauvreté soit une fatalité. Voyez ce qu’Anvers a réussi à faire de ses quartiers populaires ! A Liège, c’est le fatalisme érigé en système. Si ce drame ne provoque pas un électrochoc, moi, en tant que particulier, je jette l’éponge et je quitte la ville.

Entretien : Marie-Cécile Royen

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