© La Cinémathèque française

Romy impératrice

La Cinémathèque française consacre une vaste exposition à Romy Schneider, star à 16 ans sous les traits de Sissi, avant de se réinventer devant la caméra des Luchino Visconti, Jacques Deray et autre Claude Sautet. Voyage dans le temps.

Quarante ans après sa disparition, le 29 mai 1982, à 43 printemps à peine, l’étoile de Romy Schneider n’en finit plus de scintiller. Démonstration avec la vaste exposition que lui consacre la Cinémathèque française (1), l’actrice autrichienne succédant à Louis de Funès aux cimaises de l’institution parisienne. « En réalité, j’étais simplement en avance sur mon temps. A une époque où il n’était encore nulle part question de libération de la femme, j’ai entrepris ma propre libération. J’ai forgé moi-même mon destin, et je ne le regrette pas. » Empruntée à Moi, Romy.Le journal de Romy Schneider (Ergo Press, 1992), cette citation tient lieu de leitmotiv à une exposition que la commissaire Clémentine Deroudille a conçue sous l’angle de « L’invention de la femme moderne ».

Les documents exposés (costumes, scénarios annotés, télégrammes, storyboards...) racontent une métamorphose placée sous le signe conjoint du glamour et de l'exigence artistique.
Les documents exposés (costumes, scénarios annotés, télégrammes, storyboards…) racontent une métamorphose placée sous le signe conjoint du glamour et de l’exigence artistique.© La Cinémathèque française

Propriété nationale

Plus qu’aux aléas d’une existence qui ne devait pas la ménager, c’est à une carrière d’exception, marquée du sceau de l’absolu, que s’intéresse un parcours respectant la chronologie, et courant de « La petite fiancée autrichienne » à « L’incarnation de la femme française ». Née à Vienne le 23 septembre 1938, Romy Schneider, de son vrai nom Rosemarie Magdalena Albach-Retty, est une enfant de la balle, et c’est d’ailleurs aux côtés de sa mère, Magda, une immense vedette à l’ époque, qu’elle fait ses débuts dans Quand fleuriront les lilas blancs, de Hans Deppe, en 1953. Elles tourneront sept autres films ensemble, au rang desquels les trois Sissi, inspirés de la vie d’Elisabeth de Wittelsbach, duchesse en Bavière et bientôt impératrice d’Autriche. Réalisés coup sur coup en 1955, 1956 et 1957 par Ernst Marischka, Sissi, Sissi impératrice et Sissi face à son destin font de Romy Schneider une star internationale en même temps qu' »une propriété nationale », ambassadrice d’un petit coin du monde dont ils vendent une vision idéalisée de carte postale (déclinée de Unes de magazines en romans-photos). Un rôle dont la jeune femme, pas dupe, a tôt fait de comprendre les limites, comme en atteste un extrait de son journal: « Je voulais vivre, aimer, me développer sur le plan artistique, devenir un être nouveau: mais surtout être libre. »

Romy impératrice
© Photo Will McBride Shawn McBride

Jeunes filles en uniforme, de Géza von Radványi, en 1958, le récit d’un amour lesbien entre une prof (Lilli Palmer) et une élève, est un pas dans cette direction. C’est toutefois la rencontre avec Alain Delon, qu’elle choisit sur photo pour être son partenaire dans Christine, de Pierre Gaspard-Huit, qui précipitera le changement, la princesse de conte de fées se réinventant bientôt actrice, quittant au passage l’Allemagne pour la France – une trahison pour certains. « Il y avait un autre monde que je voulais conquérir: Paris, le théâtre, les films artistiques, les grands metteurs en scène avec leurs plans fantastiques, et les jeunes qui se vouaient au diable pour de l’argent. Un monde où tout ce que l’on voit est en même temps troublant et fascinant », écrit-elle encore. Ce qui était loin d’être gagné, si l’on en juge par la critique assassine de Christine que signe Claude Gauteur dans Arts: « Le succès de Romy Schneider est un des phénomènes auxquels se juge une époque. Les sociologues et les moralistes tiennent avec son mythe naissant un matériau de première importance. Orpheline persécutée ou princesse de pacotille, chaste toujours bien sûr, l’anachronisme de ce personnage, issu du mélo, de la Bibliothèque rose et du spectacle de patronage tout ensemble, ne laisse pas de donner le vertige. Quel Verdoux nous débarrassera de cette nonnette asexuée, de cette roide figurante, de cette ante-B.B. à qui rend niais et insipide tout ce qu’elle touche. »

Leur rupture depuis longtemps consommée, Alain Delon relancera la carrière de l'actrice avec La Piscine.
Leur rupture depuis longtemps consommée, Alain Delon relancera la carrière de l’actrice avec La Piscine.© getty images

Visconti, le maestro

A quoi les documents exposés apportent un démenti cinglant, qui racontent une métamorphose placée sous le signe conjoint du glamour et de l’exigence artistique. Il faut les voir, Delon et elle, officialisant leurs fiançailles sur la terrasse de l’hôtel Eden-Roc, à Antibes, en 1959, pour l’objectif de Claude Azoulay. Ce même Delon qui, leur rupture depuis longtemps consommée, l’arrachera, une dizaine d’années plus tard, à sa retraite familiale, pour tourner La Piscine et relancer sa carrière – les extraits du film de Jacques Deray irradient de sensualité. Une autre rencontre décisive est celle de Luchino Visconti, sur le plateau de Rocco et ses frères, dans lequel joue Delon, en 1961. Le maestro décide de réunir le couple au théâtre, dans une adaptation de la pièce Dommage qu’elle soit une putain du dramaturge élisabéthain John Ford. Le pari est risqué, l’actrice triomphe, réussissant à imprimer un nouvel élan à sa carrière. Orson Welles ( Le Procès), Alain Cavalier ( Le Combat dans l’île) ou Otto Preminger ( The Cardinal) sont quelques-uns des réalisateurs avec qui elle tourne au début des années 1960. Henri-Georges Clouzot aussi, avec qui elle embarque dans l’aventure de L’Enfer, film maudit qui s’échouera dans le Cantal, sous les arches du viaduc de Garabit, et objet ici d’un cabinet cinétique restituant l’aussi troublante que magnétique beauté de la comédienne. Quant à Visconti, après Boccace 70, il la retrouvera pour Ludwig, où il lui confie le rôle de l’impératrice d’Autriche, en un lugubre écho à la Sissi des débuts – un opéra de la folie dont, aux côtés des extraits et autres photos de tournage, un menu interactif permet de feuilleter le scénario, mais également de visionner des polaroids témoignant des conditions extrêmes du tournage.

En cinq films, dont Les Choses de la vie et Max et les ferrailleurs, Claude Sautet et Romy Schneider ont inventé la femme moderne au cinéma.
En cinq films, dont Les Choses de la vie et Max et les ferrailleurs, Claude Sautet et Romy Schneider ont inventé la femme moderne au cinéma.© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica

Comme toujours à la Cinémathèque française, les amateurs de memorabilia sont particulièrement choyés, l’exposition n’ étant avare ni de costumes ni de documents d’exception – cartons d’exploitation, scénarios annotés, storyboards, correspondance et autres télégrammes. Ainsi, parmi beaucoup d’autres, d’une lettre de François Truffaut à Helen Scott (l’interprète de ses fameux entretiens avec Hitchcock) à qui il confie, en 1963, avoir, parmi une batterie de projets, « une comédie dramatique sur un couple jeune qui se sépare et se réconcilie pour, éventuellement, Romy Schneider et Belmondo ». Ou ses mots et télégrammes dont elle abreuve généreusement les réalisateurs avec qui elle travaille, et qui, tous, traduisent son âme passionnée. Ainsi, à Claude Sautet – « Scénario arrivé dernière minute – Déjà lu deux fois – Quelle merveille, touchante, quelle belle belle histoire – Je ris, je pleure, je l’aime – Ne peut attendre d’être Rosalie – Demain elle arrive ton Rosalie et personne d’autre. » César et Rosalie sera l’un des cinq films qu’ils tourneront ensemble, de 1970 à 1978, des Choses de la vie à Une histoire simple, collaboration qui chronique les années 1970 et achève de l’imposer comme l’idéal de la femme française, indépendante et libre. Bien loin, en tout état de cause, de l’ingénue des débuts, elle qui, portée par une nature « impatiente, nerveuse et volontaire », n’aura eu de cesse de se réinventer, vivant son métier par tous ses pores. « Romy est spéciale, elle montre ce que les autres actrices ne montrent pas: sa sensibilité privée », dira Dino Risi, qui la dirigea dans Fantôme d’amour. Mieux qu’une actrice, une icône éternelle.

En cinq films, dont Les Choses de la vie et Max et les ferrailleurs, Claude Sautet et Romy Schneider ont inventé la femme moderne au cinéma.
En cinq films, dont Les Choses de la vie et Max et les ferrailleurs, Claude Sautet et Romy Schneider ont inventé la femme moderne au cinéma.© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica

(1) Romy Schneider, à la Cinémathèque française, jusqu’au 31 juillet.

Les Choses de la vie

S’il y eut bien sûr Ernst Marischka, qui la couronna impératrice, et Luchino Visconti, qui sut imprimer un virage décisif à sa carrière (son « maître » à qui elle devait dédier son premier César, obtenu pour L’Important c’est d’aimer, d’Andrzej Zulawski, en 1976), impossible de dissocier le parcours de Romy Schneider de celui de Claude Sautet. Entamée en 1970 avec Les Choses de la vie, leur collaboration devait s’étendre sur cinq films et une petite dizaine d’années. Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Mado et enfin Une histoire simple (pour lequel elle remporte un second César) composent une chronique des années 1970 et une galerie de portraits contemporains dans laquelle la comédienne occupe la place centrale. Pour apparaître, au fil de leur complicité artistique, comme l’incarnation de la femme française moderne – «  une femme mue par la volonté d’accomplir son destin, de mener sa vie comme elle l’entend, d’assumer ses envies et ses désirs , relève Clémentine Deroudille dans le catalogue de l’exposition. Pour conclure: « Claude Sautet et Romy Schneider inventent ensemble la femme moderne au cinéma. »

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