Retrouver la croissance

Comment sortir de la tourmente qui menace nos économies, mais aussi nos modèles de société ? L’austérité ne suffit pas. Un aggiornamento s’impose. Avec une priorité : relancer la croissance. Le Vif/L’Express ouvre le débat et donne la parole aux économistes qui osent avancer des idées nouvelles.

Ceci n’est pas une crise financière. Pas plus une crise économique. Pas davantage une crise institutionnelle. Voilà pourquoi, sans doute, les mesures techniques, voire politiques, adoptées depuis trois ans, n’ont pas permis de tourner la page du cauchemar de 2008. Malgré les communications triomphalistes du G 20, le secteur financier n’a pas été vraiment domestiqué. Et, malgré les déclarations d’intention des grandes puissances, le fonctionnement de l’économie mondiale demeure toujours aussi déséquilibré. Enfin, en dépit des multiples sommets européens, tous plus  » historiques  » les uns que les autres, la gouvernance de la zone euro est plus que jamais dans l’impasse. La preuve que le blocage, en fait, est ailleurs : dans les têtes.  » On ne peut pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré « , disait Albert Einstein. Changer de stratégie, et surtout de mentalité, est désormais un impératif.

La sentence du génial physicien résume on ne peut mieux le dilemme de nos dirigeants, engoncés dans des certitudes datant du siècle dernier. A droite, les principes reagano-thatchériens, mués en dogmes autoréalisateurs, ont brouillé les esprits les plus affûtés. Au point que certains ont fini par confondre le modèle avec la réalité : si personne n’a vu venir l’effondrement du secteur financier, n’est-ce pas justement parce que la communauté des experts avait une foi absolue dans le credo de l’autorégulation ? Si personne, ou presque, ne s’est inquiété de la désindustrialisation, n’est-ce pas, aussi, par croyance dans la vertu magique de la  » destruction créatrice  » ? Et si les responsables européens ont été pris de court par l’explosion des bulles immobilières – en Irlande ou en Espagne en particulier -, n’est-ce pas que leurs radars étaient formatés uniquement pour traquer l’endettement public ?

 » La génération formée dans les années 1980, marquée par l’échec de l’ultra-étatisme, a fini par adhérer à l’idée que, inversement, le marché était la solution à tous les problèmes « , reconnaît le pourtant très libéral David Thesmar, professeur de finance à HEC. Trente ans après son essor, le modèle néolibéral donne cependant des signes d’essoufflement manifestes, pour peu que l’on consente à faire un pas de côté. Les émeutes en Grande-Bretagne pointent ses limites en matière de cohésion sociale. La perte par les Etats-Unis de leur AAA vient acter l’incapacité de la première puissance économique mondiale à relancer la croissance, une fois épuisés les artifices budgétaires et monétaires. A gauche, le tableau n’est guère plus glorieux. En Europe, la social-démocratie, mise en difficulté, au début des années 1980, par le reflux du keynésianisme, n’est jamais vraiment parvenue à renouveler son logiciel. Abandonnant le terrain économique à son adversaire, elle s’est concentrée sur la redistribution. Peu importe que le gâteau s’amenuise d’année en année : l’essentiel est que chacun reçoive sa part. Quitte à donner l’impression de se replier sur la défense d’intérêts catégoriels. Quitte, aussi, à abandonner les jeunes, condamnés par le chômage, à porter le poids des ajustements inévitables. Dans les deux cas, le même oubli de la croissance et de la création de richesse. Dans les deux cas, la même conséquence : des milliards de dettes sur les bras. Et des gouvernements piégés.

Le krach larvé de cet été témoigne d’une prise de conscience : l’effet des plans de relance désormais estompé, la croissance ne va pas repartir comme prévu. Dès lors, malgré les déclarations lénifiantes, chacun a bien compris que les engagements budgétaires ne pourraient pas être tenus. A moins d’imposer des plans d’austérité drastiques, à l’image de celui exigé par la Banque centrale européenne, en échange de son aide, à l’Italie : pas moins de 45 milliards d’euros d’économies sur deux ans ! Le précédent grec devrait pourtant susciter, a minima, des réserves sur l’efficacité de ces potions amères.

Redynamiser l’axe Paris-Berlin

La seule austérité ne suffira pas. Retrouver le chemin de la croissance, voilà la clef. L’un des préalables est d’avancer vers une plus grande intégration européenne : dans un univers globalisé, l’échelon régional paraît le seul à même de garantir l’efficacité des politiques économiques. C’est la mission qui revient au couple franco-allemand, encalminé depuis plusieurs années. A charge pour Paris de faire renouer Berlin avec l’esprit européen : un esprit  » qui, contrairement à ses prédécesseurs, fait défaut à Angela Merkel « , estime Jacques Delors dans nos colonnes ( voir l’interview page 32). La rencontre au sommet du 16 août suffira-t-elle à donner une nouvelle impulsion ? La zone euro doit rassurer les marchés sur l’application du plan d’aide à la Grèce et démontrer sa capacité à parler, enfin, d’une même voix.

Autre nécessité : regagner au plus vite des marges de man£uvre. Cela suppose avant tout de désarmer la spéculation, qui condamne les Etats au court-termisme et aux expédients. L’idée d’une taxe sur les transactions financières progresse : rejetée par le FMI sous Dominique Strauss-Kahn, elle a obtenu ses lettres de noblesse auprès de celle qui lui succède, Christine Lagarde. Condamnée à demeurer d’un montant limité, cette taxe pourra être utile pour récolter des fonds, mais guère pour freiner la spéculation. D’autres possibilités sont envisageables au niveau européen, comme celle promue par l’anthropologue belge Paul Jorion, qui consiste à interdire aux spéculateurs l’accès aux marchés à terme ( voir l’encadré ci-dessus). Encore faut-il que les politiques s’en emparent. Au-delà du secteur financier, le G20 doit être le lieu de nouvelles règles du jeu commerciales et monétaires, moins pénalisantes pour l’Europe, comme le suggère Jean-Luc Gréau ( voir ci-dessus).

Ultime voie à explorer : la politique monétaire.  » L’Histoire démontre que les pays croulant sous des montagnes de dettes ne sont jamais parvenus à s’en sortir par leurs propres moyens, rappelle Véronique Riches-Flores, économiste à la Société générale, deuxième banque française. Pourquoi ne pas monétiser une partie de la dette en ayant recours à l’inflation ?  » Une piste désormais avancée par plusieurs économistes ( voir ci-dessus), y compris au sein du FMI.

Reste enfin à relancer la croissance elle-même, par exemple en misant massivement sur les nouvelles industries : énergie, santé, transports, réseaux numériques… Mais la croissance ne peut véritablement repartir qu’en avançant sur ses deux jambes. Cela suppose de jouer aussi sur la demande. Le gel des rémunérations à des fins de compétitivité, loin de la redynamiser, a eu pour seule conséquence l’explosion du crédit, à titre de compensation. Sortir d’un monde où la compression des salaires est l’alpha et l’oméga de la politique économique relève donc de l’impératif catégorique pour certains économistes, au premier rang desquels Jacques Attali ( voir ci-dessus), qui insiste également sur le rôle central de l’école primaire dans la formation et donc l’accès à l’emploi.

Aux citoyens de faire entendre leur voix

Tous ces beaux préceptes demeureront cependant dans les limbes sans la mobilisation de chacun.  » La pédagogie de la crise n’a pas été faite, ni par la gauche ni par la droite « , regrette Philippe Herzog, président du think tank Confrontations Europe. Certes. Mais le sport national qui consiste à vilipender les politiques a lui aussi ses limites. Comme si leur impuissance n’était pas le fruit du désinvestissement de l’ensemble du corps social. Aux élites, donc, de se réinventer, loin des carcans idéologiques.  » Comment peut-on sortir de l’impasse, alors que l’on refuse de faire le bilan de ce qui a dysfonctionné en Europe ces vingt dernières années, déplore ainsi Véronique Riches-Flores. Commettre des erreurs n’est pas grave, si l’on est capable de le reconnaître et d’y remédier.  » Aux citoyens, aussi, de s’approprier ces sujets, ô combien complexes, mais cependant vitaux. Et de faire entendre leur voix. Au moment où de nouveaux géants, comme la Chine, grignotent chaque jour des parts de marché, il en va de la survie économique de l’Europe. A l’heure où les marchés ont déclaré la guerre aux Etats européens, il en va, aussi, de la survie de la démocratie.

BENJAMIN MASSE-STAMBERGER

Einstein l’avait bien dit :  » On ne peut pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré « 

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