Redécouvrir Van Gogh

Guy Gilsoul Journaliste

La sortie en six volumes de la correspondance complète de Van Gogh aux éditions du Fonds Mercator est un événement. Une exposition à Amsterdam lui fait écho.

Qui est Vincent Van Gogh ? Ses lettres offrent-elles l’occasion de mieux connaître à la fois le peintre et l’homme ? Le mythe Van Gogh est-il redevable à la publication, à peine trois ans après la mort du peintre, de certaines d’entre elles considérées à tort comme relevant du journal intime ? Sans aucun doute. Mais le succès de cette littérature est aussi le fait des peintres qui y ont vu un modèle doublé d’un praticien dont les mots ont de quoi alimenter leur art et leur esthétique.

Théo, son  » petit  » frère marchand d’art, qui a reçu plus de 600 lettres d’une longueur moyenne de quatre feuillets, les avait précieusement conservées. Après son décès (survenu six mois après celui de Vincent), sa veuve secondée par le peintre Emile Bernard décident de les rendre publiques dans le LeMercure de France, l’une des revues les plus influentes du temps. Quelques années plus tard, en 1914, alors que l’expressionnisme atteint des sommets, paraît une première version des lettres aux Pays-Bas, et suivie, aussitôt, d’une traduction allemande. Van Gogh (1853-1890) devient un père spirituel des Kirchner et autres Heckel mais aussi, en France, du turbulent Maurice de Vlaminck. Pourtant ce n’est qu’en 1952 que sera publié l’ensemble de la correspondance conservée par la famille. Depuis, excepté une édition néerlandaise parue en 1990, le lecteur n’a à sa disposition, dans des éditions de poche ou de luxe, qu’un choix de lettres, voire des fragments proposés hors contexte. Il manquait donc une édition critique qui soit comme un outil à large spectre tout autant qu’un ouvrage aussi beau que passionnant à parcourir.

Le voici, après quinze ans de recherches, réalisé par les éditions du Fonds Mercator, depuis longtemps liées avec le musée Van Gogh d’Amsterdam, principal propriétaire des précieuses et fragiles missives. Un musée, qui, à son tour, profite de l’occasion pour construire un nouveau parcours sur quatre niveaux, en posant côte à côte un choix de 120 lettres enrichies par des croquis, et 340 £uvres associant peintures et dessins. Le dialogue proposé, tout comme le livre, révèle sans aucun doute un Van Gogh moins impulsif, plus réfléchi, mais toujours aussi passionnant.

L’ouvrage, mode d’emploi

Rassemblés dans un impressionnant coffret, les six volumes représentent sans doute le pari le plus audacieux de l’éditeur belge. Le budget est à la hauteur des ambitions. Soit 825 000 euros pour l’impression, auxquels il faut ajouter les frais de traduction (Van Gogh écrit dans trois langues, le néerlandais, le français et l’anglais) et ceux liés à l’iconographie supportés par le musée. Le résultat est à la mesure des espérances. On y découvre la totalité (819) des lettres envoyées par Vincent à Théo ainsi qu’à Gauguin, Emile Bernard, Anthon van Rappard ou encore à sa s£ur ou à ses parents, mais aussi 83 lettres reçues par Vincent. Un corpus impressionnant. Encore fallait-il, avant de le publier, l’étudier en profondeur. Ce fut la tâche de l’équipe scientifique du musée et du Huygens Institute de La Haye. L’analyse comparative permit, ce ne fut pas une mince affaire, de les classer par ordre chronologique. Vincent ne prenait en effet que rarement la peine de mentionner la date. Ensuite, il s’agissait d’éclairer, avant toute autre forme de commentaire, le contenu lui-même. Car, si l’image du peintre est souvent associée à celle du martyr, de l’incompris et de l’écorché vif, Van Gogh est d’abord un véritable gourmand insatiable… de culture. Il lit beaucoup et commente ses lectures, transcrivant parfois des passages entiers de poèmes ou renvoyant à des extraits de la Bible ou des Evangiles peu connus. De même, il possède une mémoire visuelle colossale. Certes, avant de devenir artiste, durant sept ans, il a travaillé chez le marchand d’art Goupil. Et, depuis sa décision, en 1872, de se consacrer à la seule peinture, il n’a de cesse de visiter musées et expositions tout en achetant reproductions et revues. Mais surtout, il n’oublie rien :  » Nous avons, explique Mienke Bakker du musée Van Gogh, retrouvé un tableau de Corot qu’il cite à la fin des années 1880. Or il a vu ce tableau dans une exposition plus de dix ans plus tôt. Cela arrive sans cesse. « 

 » Pour le livre, précise l’éditeur, nous avons multiplié les liens. Complétant chacune des lettres (reproduites lorsqu’elles sont accompagnées de dessins), on trouve une série de notes et des reproductions d’£uvres (4 300 illustrations au total). Il s’agit parfois, sur la même double page, de tableaux d’artistes cités ou d’autres signés Van Gogh auxquels la correspondance fait allusion soit par une phrase, soit par un croquis. Ainsi, chaque fois, le lecteur prend connaissance, visuellement, des commentaires ou des comparaisons que propose le peintre. « 

Une autre difficulté était d’ordre philologique :  » Van Gogh écrit en effet très vite en français, poursuit-il, plus rarement en anglais et, bien sûr, dans sa langue maternelle. Mais celle-ci est assez particulière, marquée par des accents régionalistes qui lui font ressembler à certains patois flamands. La langue est assez visuelle et âpre, sinon crue, toujours riche. Nous avons essayé de garder ces saveurs dans les traductions. « 

Bien sûr, il faut apprendre à jouer avec l’outil (le dernier volume en donne les clés). Et une fois habitué, on peut même rejoindre le lien Internet (www.vangoghletters.org) où de plus amples informations prolongent et précisent encore davantage l’analyse des textes.

On le savait déterminé. On voyait moins l’extrême logique avec laquelle il construit progressivement son £uvre de peintre :  » Lorsqu’après son arrivée à Paris, explique Mienke Bakker, il découvre la génération postimpressionniste, il ne prend pas le train en marche, mais poursuit, pas à pas, ses recherches à partir de Delacroix dont il avait lu le journal bien avant de devenir peintre. « 

Le peintre et l’homme, trois exemples

De même, le caractère instinctif de son £uvre est remis en question. Ses lettres démontrent combien il réfléchit au sujet et à la manière de le traiter. De même ses relations avec le motif. A Auvers-sur-Oise, il peint de mémoire des paysages d’Arles et, à Saint-Rémy, des souvenirs du Nord. « 

Quant à sa vie privée, elle révèle un homme très concret qui aime boire, fumer, aller au bordel et qui ne craint pas de parler d’argent. Théo lui envoie en moyenne 150 francs par mois. Soit trois fois plus que le salaire de son ami le facteur Roulin qu’il invite souvent à partager repas arrosés et soirées festives :  » Il dépense beaucoup pour l’achat de son matériel, précise Baker, mais compare les prix sur catalogue, en discute avec Théo.  » Par contre, on devine un grand rapport de tendresse avec sa mère et de sérieuses difficultés à se faire accepter par son pasteur de père qui lui reproche, entre autres, de s’habiller de façon excentrique. Entendez, comme un ouvrier….

> Vincent Van Gogh, Les lettres, Edition critique complète illustrée. 6 volumes. www.fondsmercator.be

>Amsterdam, musée Van Gogh. Du 9 octobre au 3 janvier 2010. Tous les jours, de 10 à 18 heures. www.vangoghmuseum.nl ; www.thalys.com : dès le 13 décembre en 1 h 53.

GUY GILSOUL

 » van gogh, un véritable gourmand insatiable… de culture « 

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