Ray Davies enfin en solo

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Other People’s Lives est le premier album solo du leader des Kinks. D’une agression survenue à La Nouvelle-Orléans, il a tiré un disque de chroniques à l’anglaise qui renouent avec sa plus brillante inspiration

En janvier 2004, à La Nouvelle-Orléans, Ray Davies a eu la mauvaise idée de poursuivre le voleur qui venait de dérober le sac de son amie. Histoire de justifier la devise policière locale ( » Ne résistez jamais à un criminel « ), le bandit lui offrit une balle dans la jambe. Ce qui n’est d’abord apparu que comme une blessure superficielle s’est avéré plus dommageable, et Ray passa plusieurs semaines en rééducation, ruminant ses futures chansons qui ont vite débordé le seul ressassement de l’incident. Après avoir tellement joué en Amérique, Ray se découvrait soudain au c£ur du système de santé (déficient) du pays le plus puissant du monde.  » Comment voulez-vous que les Etats-Unis puissent contrôler la planète s’ils ne parviennent déjà pas à faire fonctionner leur propre pays ?  » se demandait assez logiquement le jeune sexagénaire. L’ouragan Katrina n’a pas manqué de lui donner raison l’année suivante.

Si The Storyteller, son disque de 1998, était la mise en musique de son autobiographie malicieuse, Other People’s Lives est le premier véritable manifeste solo en chansons de Raymond Douglas Davies, l’auteur-compositeur britannique le plus remarquable au côté de Lennon-McCartney. A l’approche de ses 62 ans, l’ex-leader des Kinks renoue avec la finesse d’écriture qui a fait la gloire de Waterloo Sunset, Autumn Almanac ou End of the Season. Un sens de l’observation digne d’un ornithologue, plaçant la race des moineaux, corbeaux et autres étourneaux humains sous sa plume unique de misanthrope bienveillant et anglais.

Le disque vibre de sa voix grinçante et traînante, toujours aussi viscéralement british. Dès la pièce d’intro, Things Are Gonna Change (The Morning After), on comprend que Ray a enfin abandonné les guitares lourdingues qui plombaient la dernière vie des Kinks pour revenir à de fines toiles mélodiques, ces élans de six-cordes que Blur jalousera jusqu’à la fin. Dès le deuxième titre, le Grand Pessimiste endémique précise ses ombres de crépuscule personnel avec un entrain quasi carnassier. Et, à l’entame de la troisième plage – un merveilleux Next Door Neighbour -, on a compris que la verve inimitable de Ray et sa façon de se pencher sur la normalité du quotidien avec une douceur amère constituent la grandeur même de la pop anglaise. Dans Stand Up Comic, il faut l’entendre alpaguer le syndrome de la culture insulaire de son pays, en parodiant ce  » Johnny Old England  » des gueules de bois, mâtiné de fausse star télé et de frime de ragoût à la menthe.

Technique et imaginatif, Davies découpe ses histoires en multipliant les points de vue des personnages : ainsi, dans le si beau Creatures of Little Faith, il montre comment les protagonistes d’un couple déchiré ne parviennent pas à se séparer. Dans Things Are Gonna Change ou Is There Life After Breakfast ?, il pointe très justement l’exiguïté de la frontière entre le bien et le mal. Par-dessus tout, les noirs desseins de Ray bénéficient d’un humour distancié (cf. The Tourist) et d’une production qui met dynamisme sonore et spleen sur un pied d’égalité. Dès lors, le disque n’est pas sans rappeler le dernier bon témoin discographique des Kinks, Sleepwalker sorti en… 1977. Quant à la question inévitable de l’hypothétique reformation des Kinks, virtuellement séparés depuis un ultime concert en Norvège en 1996, Ray Davies répondait ceci à un journal anglais :  » Depuis qu’il a eu une attaque, Dave ( NDLR : Dave Davies, son frère ennemi) vit avec moi. Nos rapports tumultueux se sont beaucoup apaisés, mais je sais qu’à la minute même où nous nous assiérons ensemble pour composer de nouvelles chansons, la guerre se déclarera à nouveau instantanément.  » Pour l’instant, aucune date de concert n’est encore prévue en Belgique pour le Ray nouveau et ses pimpantes chansons. Cet été ?

CD chez V2 Records.

Philippe Cornet

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