Ramdam chez Belfius Banque

L’ex-Dexia Banque Belgique est en phase de restructuration mais son actionnaire unique, l’Etat, reste au balcon. Syndicats et opposition montent au créneau…

En 2011, ce qu’on cro-yait être le dernier ren-flouement de Dexia avait été de pair avec une reprise de Dexia Banque Belgique (DBB) par l’Etat, via la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI). Après quelques tergiversations autour de la recomposition de son conseil d’administration, la désormais nommée Belfius Banque s’est ensuite lancée dans un vaste plan de restructuration.  » La mission du conseil d’administration de Belfius Banque consiste, avant tout, à redresser la situation de la banque en vue, notamment, de lui permettre de sortir de sa position fragilisée après son extraction du groupe Dexia « , rappelait encore voici peu à la Chambre Steven Vanackere, le ministre fédéral des Finances (CD&V). Fragile, la banque l’était déjà avant ladite  » extraction « . En effet, au moment où les liens capitalistiques entre Dexia SA et Dexia Banque Belgique ont été rompus, et aux dires du ministre lui-même, l’encours de la holding envers la banque se chiffrait à 56 milliards d’euros, dont 22,6 n’étaient pas sécurisés ! A l’automne dernier, cet encours était cependant retombé à 24,5 milliards, désormais complètement sécurisés.

Il ne s’agissait pas là du seul défi à relever pour le management. Se posaient en effet des questions de solvabilité et de rentabilité, deux points sur lesquels les équipes du tandem Alfred Bouckaert-Jos Clijsters, respectivement présidents du conseil d’administration et du conseil de direction, ont beaucoup travaillé.  » Les exigences réglementaires de Bâle III et de Solvency II obligent les banques – et Belfius n’y échappe évidemment pas – à renforcer leurs fonds propres « , confirme Bruno Colmant, professeur à l’UCL. Comme les Etats n’entendent pas remettre à nouveau au pot, la banque doit renforcer ses fonds propres par elle-même, en y affectant systématiquement ses bénéfices. Reste que pour tenir ce cap, priver l’actionnaire de dividendes ne suffira pas. Le management estime en l’occurrence qu’il faut à la fois booster les revenus et diminuer les charges.

Le personnel comme (seule ?) variable d’ajustement ?

Vu la part qu’ils représentent dans l’ensemble des charges, les frais de personnel ont évidemment été l’objet d’une attention toute particulière. Au Setca et à la CGSLB, on hurle au loup !  » Le plan mis sur la table par la direction comprend la suppression de pas moins de 1 000 emplois (NDLR : ramenés en équivalents temps plein, le chiffre de 670 est avancé), la réduction de presqu’un quart de la masse salariale et la rupture des engagements contractuels dans le cadre du deuxième pilier des pensions. En outre, en faisant porter aux plus de 5 800 collaborateurs l’entière responsabilité de la survie de la banque, la direction met en place une culture d’entreprise où règnent jalousie, mécontentement et colère. La direction leur reproche de coûter trop cher, de bénéficier de conditions de travail et de salaires qui ne sont plus « socialement défendables » et qui doivent donc être drastiquement revus à la baisse.  » Ces deux syndicats sont d’autant plus remontés que la Belfius Banque s’apprête à signer un chèque d’un montant, dit-on, compris entre 100 et 130 millions d’euros pour racheter au Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et son alter ego flamand (l’ACW) l’ensemble de ses  » parts bénéficiaires  » (NDLR : des actions sans droit de vote, non représentatives du capital mais donnant droit à une partie des bénéfices).  » Si ce n’est pas demain la veille que Belfius distribuera des bénéfices, ce rachat de parts est la résultante d’accords conclus à l’époque du rapprochement entre la Bacob et Dexia, assure-t-on à des sources concordantes. Les besoins criants de liquidités de l’ACW et du MOC – désormais privés de leur rente de dividendes en Dexia – ont poussé leurs instances à exiger l’exécution de ce vieil accord.  » Il n’en fallait pas plus pour que le Setca voit… rouge.  » D’un côté, la banque va dégager des moyens pour acheter ces titres, d’un autre, elle veut économiser tous azimuts, et singulièrement sur les salaires. D’un côté, on se réfugie derrière une obligation contractuelle. De l’autre, on feint d’ignorer que les contrats d’emploi et les salaires sont aussi des obligations contractuelles « , souligne Miranda Ulens, en charge du secteur  » finances  » au Setca. Reste que le deal en passe d’être conclu entre Belfius et le MOC/ACW pourrait néanmoins s’avérer intéressant, explique une source proche du dossier.  » Dans la mesure où le MOC et l’ACW s’engagent en corollaire à déposer chez Belfius, dans une perspective de long terme, l’équivalent de deux tiers du montant engrangé, cela revient à transformer de l’antimatière en matière, sous la forme de précieuses ressources à long terme…  »

Sous l’angle comptable aussi, l’adéquation dans le temps des ressources (l’épargne) avec leur réemploi (les crédits) pose problème. Les banques se retrouvent en effet  » bridées  » dans leur rôle de  » transformateur d’échéances « , rendant plus compliqués les financements à très long terme, comme celui des hôpitaux.  » Bâle III oblige les banques à être beaucoup plus liquides, à pouvoir faire face à des retraits massifs de dépôts « , explique Bruno Colmant. D’où cette tendance à essayer de se débarrasser d’actifs qui ne le sont pas, comme les crédits hypothécaires. Il faut donc y voir un lien de cause à effet avec la récente titrisation d’une partie du portefeuille de crédits hypothécaires, sous la forme de covered bonds

Un outil dont l’Etat ne fait rien…

Si Belfius Banque est détenue à 100 % par l’Etat, son contrôle effectif semble en tout cas se limiter à la portion congrue. En effet, à part tomber d’accord, non sans mal, sur le choix des administrateurs ou, plus tard, pour mettre le holà au projet de vente d’une partie de la collection d’oeuvres d’art de l’ex Crédit communal, le gouvernement fédéral se garde bien d’interférer dans la stratégie, ce que déplore profondément Georges Gilkinet.  » Quelle est la lettre de mission confiée aux administrateurs ?  » demande le député fédéral Ecolo, pointant le fait que le réseau d’agences – rémunéré à la commission – est encouragé à vendre des produits financiers purement spéculatifs au lieu d’être engagé durablement dans le cercle vertueux d’un soutien de l’économie réelle. Pour lui, l’Etat devrait exiger de Belfius Banque qu’elle mette sur le marché des produits d’épargne simplifiés et que cet argent soit utilisé dans le cadre de l’économie domestique à l’usage des PME et des collectivités locales.  » On devrait pouvoir dire qu’au-delà des banques qui font bien leur travail, comme Triodos, une des quatre grandes banques belges s’inscrit dans un mode d’organisation et d’éthique totalement différent… qui fonctionne. Je sais que les choses ne sont pas simples, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une opportunité manquée à ce stade. Et j’ai plutôt l’impression qu’il y a un agenda caché où l’on essaie de préparer la revente « , conclut-il.

JEAN-MARC DAMRY

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