Qui laisse faire Marc Dutroux ?

Il me semble que l’information relative au procès d’Arlon est inversement proportionnelle au nombre de journalistes qu’on y a délégués. L’oralité des débats d’assises est toujours, il est vrai, une épreuve à la limite de l’impossible. On a pourtant éludé ce qu’appréhendaient le plus les observateurs, à savoir où trouver des jurés sereins ? Mais c’est comme si la question n’était plus là. Tandis qu’un procès, quel qu’il soit, devrait être un effort de rationalisation, l’émotion continue de submerger les débats et l’on voit, par exemple, un juge d’instruction s’effondrer en larmes à l’audience, ce qui n’est pas plus rassurant que si un chirurgien se mettait à sangloter au moment d’opérer.

On pourrait déduire du premier interrogatoire public de Marc Dutroux qu’il est à la fois en aveux et table sur des circonstances atténuantes. Sa propre enfance, a-t-il longuement raconté, fut malheureuse et, tandis qu’il aurait voulu protéger les fillettes enlevées, ce sont d’autres acteurs, comme Michellle Martin, Weinstein ou Nihoul qui seraient responsables de la mort,  » regrettable « , précise-t-il, notamment de Julie et de Melissa. En un mot, il se tient pour une victime. On écoute ça à Arlon comme si c’était un point de vue intéressant, méritant réflexion, comme s’il y avait du pour et du contre, comme dans les jeux télévisés. Je ne fais pas cette comparaison au hasard : le goût effréné du vedettariat domine toutes les interventions de Marc Dutroux et de la plupart des avocats. L’incident relatif aux commentaires que fit le juge Christian Panier est caractéristique de cette sorte d’appropriation du procès par ceux qui en font leur chasse gardée.

Ce n’est assurément pas la première ni la dernière fois qu’on juge un accusé en aveux. Nous savons, tout au demeurant, que l’aveu n’est pas une preuve, qu’il n’oblitère en tout cas pas les circonstances atténuantes. En Angleterre, où règne aux assises le régime du guilty or not guilty, l’accusé étant tenu de choisir l’un ou l’autre, le procès d’Arlon pourrait être déjà pratiquement terminé, le jury licencié et la peine prononcée dans l’heure qui suit. Mais telles ne sont pas nos habitudes ni même notre loi.

J’étais bien décidé, pour ma part, à ne pas assister à un procès trop follement médiatisé pour offrir un intérêt autre que proprement publicitaire. Ne nous y trompons d’ailleurs pas, il y eut ces dernières années dix , vingt procès criminels comparables à celui d’Arlon, qui, soit n’ont pas eu les honneurs de la presse, soit mirent en évidence la même problématique. Quand Patrick Henry comparut à Troyes, souvenons-nous qu’un de ses avocats, Robert Badinter, ne plaida pas l’implaidable en conscience, qu’il ne défendit pas l’accusé  » classiquement « , mais qu’il combattit la peine de mort, quelle que fut la culpabilité, en l’espèce flagrante, de l’accusé, que, pour le reste, il abandonna à son sort. Et cela dès les premiers mots de sa plaidoirie :  » Celui-là, vous le tenez, vous le tenez à la gorge !  »

Aujourd’hui, les jurés d’Arlon tiennent Marc Dutroux à la gorge mais la peine de mort a été abolie. C’est ce qui devrait signifier que tout est déjà dit au sujet de l’accusé, Marc Dutroux, sauf performance oratoire, par définition d’une vaine superbe.

On va répétant, comme si c’était l’objet du procès, qu’il y a des zones d’ombre dans cette affaire. Nul ne pourrait en disconvenir, mais je ne vois aucun procès criminel de cette sorte qui ne comporte des zones d’ombre ! Il n’y a souvent, à cet égard, point tentative plus décevante que certaines reconstitutions débouchant presque toujours sur des énigmes, comme si le temps par exemple, n’était plus le même qu’au moment des faits.

Il y a longtemps que le procès de Marc Dutroux et consorts aurait pu et dû être fait. Je n’ai, en ce qui me concerne, guère d’inclination pour les hypothèses qui imaginent des complots mais je ne puis m’empêcher de m’interroger sur cette volonté opiniâtre de différer un procès que, plus le temps passait, plus on le compliquait. On ne laisse pas un Marc Dutroux ameuter l’opinion comme n’importe quel misérable en a les moyens, si on le laisse faire.

billet Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

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